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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/56

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LES ÎLES DANS

dans nos hunes et dans nos mâts de perroquet ne fût venu nous avertir que la tempête sûre de nous rejoindre une autre fois, passait fièrement au-dessus de nos têtes, dédaignant pour le quart-d’heure de secouer le Napoléon III dans ses bras nerveux.

Si un climat rigoureux, une terre aride et le défaut de bois de construction n’étaient là pour entraver ses débuts, il y aurait moyen de fonder sur cette grève sablonneuse un des plus beaux entrepôts de pêche, et l’une des plus fortes villes maritimes du continent américain. Six forts construits avec toutes les innovations créées par le génie moderne et jetés à l’entrée des chenaux de l’est, de l’ouest et du milieu — trois goulets qui mènent au fond de la baie — seraient suffisants pour défendre les passes et saborder n’importe quel vaisseau qui voudrait les forcer. Mais la solitude et la désolation semblent faites pour le Labrador ; et il vaut mieux respecter le secret de Dieu qui, si l’on en croit une légende racontée par les gens de mer, a voulu que le silence, les longs hivers et l’abandon pesassent à tout jamais sur cette terre, qui fut maudite avant d’être donnée en partage à Caïn.

À la place de cette splendide cité que nous nous sommes amusés à fonder ce soir-là, on apercevait du pont du navire un maigre entrepôt de la compagnie de la Baie d’Hudson, et une petite chapelle destinée au culte catholique. Six hommes d’équipe nous conduisirent à terre, où nous fûmes accueillis par un Irlandais, facteur de la puissante raison sociale qui jadis avait le monopole des fauves arctiques, et régnait en souveraine jusque dans les solitudes du pôle nord. Ce brave homme nous fit les honneurs