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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/65

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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

tait-il encore, comme la douleur augmentait, il prit de la magnésie, puis de la menthe, puis deux légères doses d’opium.

Le mieux se montra de nouveau, et croyant que tout était fini, M. Têtu donna l’ordre au maître d’hôtel d’aller se reposer.

— Je sonnerai, s’il y a lieu.

Quelque temps après, le garde-pêche qui était couché dans le carré, vit le commandant passer dans son cabinet de toilette : il revint d’un pas ferme vers son lit, s’y appuya ; puis joignant les mains, murmura :

— Mon Dieu ! que je suis faible ! Mon Dieu ! ayez pitié de moi !

Ce furent là ses dernières paroles.

Quelques secondes après, le râle l’empoignait : et quand son compagnon de carré courut à lui, suivi du capitaine qui essaya de soulever le commandant dans ses bras, ces deux hommes atterrés ne purent saisir au passage que trois longs soupirs entrecoupés.

Le commandant Têtu venait de descendre son dernier quart.

Jeune — trente-quatre ans — doué d’une intelligence supérieure, d’une âme profondément catholique, d’un cœur loyal — dans une acception que bien des gens de notre siècle auraient peine à comprendre, Théophile Têtu remplissait à la satisfaction de tous le poste d’honneur qu’on lui avait confié. Ses études, militaires et scientifiques, ses connaissances en droit maritime, ses travaux particuliers, contribuèrent à en faire un spécialiste qui, hélas ! n’eut que le temps de se faire regretter. Le matin de ce triste jour, la Canadienne, flamme en berne, cinglait vers le bassin de Gaspé, emportant la dépouille de son ancien