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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/70

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LES ÎLES DANS

et une trentaine de gargousses, et d’entasser le tout dans le petit canot. Une vague vint sur ces entrefaites ajouter encore aux plaintes et à la confusion, en emportant le gouvernail de la Renommée, et le mât d’artimon rompu à coups de hache, étant tombé sur la hanche de bâbord, fit prêter la bande au malheureux navire.

Impassible au milieu de ce chaos, M. de Freneuse donne l’ordre de hisser la chaloupe sur ses porte-manteaux. Vingt personnes embarquent ; mais au moment où la dernière prend place, un des palans manque : et la moitié de cette grappe humaine est précipitée dans l’abîme pendant que ceux qui restent, se cramponnent aux plats-bord de l’embarcation, suspendue en l’air. Pas un muscle n’a bronché sur la figure de M. de Freneuse, à la vue de cette nouvelle catastrophe. D’une voix forte il donne l’ordre de filer le palan d’arrière. Mais au moment où la chaloupe reprend son équilibre et touche au flot, une vague brise le gouvernail de l’embarcation, et celle-ci mal assise, est rasée coup sur coup par deux lames. On parvient pourtant à pousser au large. Un des sous-officiers gouverne le mieux possible avec un mauvais aviron, et matelots et passagers trempés par la pluie qui tombait par torrents et masquait l’atterrage, la figure fouettée par les embruns de la mer, rament au plus près, en récitant à haute voix le confiteor, et en s’unissant au P. Crespel qui psalmodiait les versets du miserere. Pendant ce temps, un ressac terrible bat à la côte. On l’entend clairement à bord. Le bruit va grandissant. Tout-à-coup la chaloupe entre dans le tourbillon mugissant. Une lame énorme l’empoigne, la soulève, la chavire, et roule chacun pêle-mêle et meurtris sur le sable et sur les galets de la grève.