Aller au contenu

Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
LE GOLFE SAINT-LAURENT.

des selles anglaises, des livrets d’hameçons et de mouches, des boucles de harnois, on avait oublié le nécessaire ; et le lard se vendait une piastre la livre !

Autour de ces magasins, vides aujourd’hui, est venu se grouper un village assez propret, habité par des Acadiens et par quelques familles irlandaises. Nous y trouvâmes tout le monde en liesse. Chacun était endimanché. Ce petit Landerneau était en l’air, car ce jour-là un photographe avait fait son apparition dans ces endroits reculés. Ce noble représentant de l’art était une femme de l’Islet qui avait frété un goëleton, et se faisait accompagner par sa fille et par trois hommes d’équipage. Elle courait pendant la belle saison, le Labrador et les îles du golfe, prenant le portrait de celui-ci pour trois gallons d’huile de loup-marin, échangeant la binette de celui-là contre de l’édredon, des œufs d’oiseaux, confectionnant la caricature d’un troisième pour la valeur d’une peau de renard ; bref, se tirant toujours d’affaire, et réussissant à faire louvoyer tant bien que mal sa goëlette sur les flots du Pactole. L’occasion, l’herbe tendre, et je pense, quelque diable aussi nous poussant, nous fîmes comme les autres. Nous eûmes la satisfaction de voir nos têtes, hâlées par le vent de mer, ressortir à côté du minois frais et éveillé d’une gentille Acadienne, mademoiselle Lelièvre qui, partie il y a quelques mois de la Grande Rivière, accomplissait ici une mission de dévouement et d’utilité publique. Enfermée pendant cinq heures, chaque jour, dans un cabanon en bois rond dont la porte était décorée d’une planche noire, d’où ressortait en lettres d’or le nom d’un navire naufragé, le Tanaro, elle faisait avec grand succès l’école à quarante-trois élèves ;