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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/99

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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

petite chaloupe échappée au naufrage et qu’ils avaient calfatée le mieux possible. Ils mirent le cap sur Boston, où ils arrivaient à demi-morts d’épuisement, après trente-cinq jours de navigation. Un navire de guerre fut expédié de suite au secours de Rainsford ; et ces naufragés décimés par la misère, ne furent tirés de leur triste position que par un miracle, — c’est le capitaine qui l’assure lui-même, — plus heureux en cela que bien d’autres de leurs camarades qui périrent au nombre de plus de mille, soit dans le golfe Saint-Laurent, soit dans la mer des Antilles, où leurs vaisseaux avaient été pourchassés par l’ouragan.

Le secret du capitaine Rainsford n’est pas le seul que la tempête ait confié à la discrétion, des brisants de la pointe ouest de l’Anticosti. Mon interlocuteur, à qui je rappelais les déboires de l’amiral William Phipps, m’apprit à son tour, qu’un matin, en sortant du phare, il avait trouvé sur la grève un brigantin, la quille en l’air, et tout son monde noyé à bord.

Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont ensevelis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle Océan à jamais enfouis.

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée,
Chaque vague en passant, d’un butin s’est chargée ;
L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots.[1]

  1. Victor Hugo — Les rayons et les ombres.