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doctrinale et que ses principes restent les seuls qui soient de nature à permettre au syndicalisme de retrouver son Unité et sa vigueur.

La preuve en est péremptoirement administrée par les faits suivants :

1° Dès qu’on a cessé de reconnaître que la lutte de classe est un fait indéniable, pour pratiquer ou tenter de pratiquer la collaboration continue du Travail et du Capital par en haut, on a créé une tendance qui ne permettait plus à la C. G. T. de grouper dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat. Une partie d’entre eux en était exclue idéologiquement, moralement. Elle le fut bientôt matériellement. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la première scission.

La confiance mise par la C. G. T. dans la démocratie et l’État bourgeois, pendant et après la guerre, pour réaliser une partie du programme syndicaliste était en opposition flagrante avec la Charte d’Amiens, qui rompait publiquement avec cette démocratie et son État et n’attendait rien que de l’action directe des travailleurs.

Il y a d’autres causes, mais celle-ci est l’essentielle. Les expériences, qui se suivent et se ressemblent quant aux résultats depuis mai 1924, prouvent et confirment avec éclat, en dépit de l’accentuation de cette politique, qui rencontre l’agrément du Pouvoir et du Parlement, que les militants de 1906 furent clairvoyants, qu’ils avaient pleinement raison.

Indubitablement, le premier divorce des fractions de la C. G. T. vient de là et non d’ailleurs. Il était inévitable, parce que les principes fondamentaux d’un mouvement sont au-dessus de la loi de la majorité et qu’ils doivent y demeurer. C’est du moins notre avis.

2° Lorsque le rôle révolutionnaire du syndicalisme, sa valeur revendicative, son indépendance, son autonomie fonctionnelle, sa capacité d’action furent contestés par un Parti et ses adeptes qui voulaient que le Syndicalisme rompît sa neutralité en faveur de ce Parti jusqu’à en devenir l’appendice, contrairement d’ailleurs à ce qu’affirmait Karl Marx lui-même à Genève en 1866, la deuxième scission, déjà en germe lors de la première, se produisit.

À ce moment, la C. G. T. U., pas plus que la C. G. T., ne pouvait plus grouper dans son sein, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat, même si ce principe directeur restait à la base de l’action de la nouvelle C. G. T.

Et ce fut la seconde scission, parce que, une fois encore, les principes fondamentaux du syndicalisme cessaient d’être respectés et qu’ils ne pouvaient être modifiés par une majorité inspirée extérieurement par le parti communiste. Il en eût été de même, s’il se fût agi d’un autre parti ou d’un groupement philosophique.

On peut donc dire, aujourd’hui, que les principes d’Amiens sont niés, dans leur intégralité, soit par l’une, soit par l’autre C. G. T. Faut-il en conclure que l’Unité est à tout jamais impossible ? Peut-être, hélas !, si on continue de tels errements.

Les conceptions nouvelles des deux C. G. T. basées de part et d’autre sur des principes opposés à ceux du syndicalisme, ont en effet donné naissance à des programmes, à des systèmes qui s’opposent dans presque toutes leurs parties à ceux du syndicalisme. Il est à craindre, dans ces conditions que ceux qui les défendent respectivement, ainsi que ceux qui les suivent, s’obstinent dans leurs erreurs et persistent dans la voie qu’ils ont choisie.

On peut donc redouter que les heurts des tendances s’aggravent au lieu de disparaître. Aussi, pour exprimer franchement notre pensée, nous n’apercevons en ce moment et ce jusqu’à ce que nos craintes soient dissipées, aucune possibilité sérieuse de fondre dans un même creuset les systèmes sociaux qui sont, à notre avis, appelés à s’opposer chaque jour plus violemment, jusqu’à l’application de l’un d’eux.

L’histoire nous enseigne que cette lutte se poursuivra, vraisemblablement, par delà cette application, s’exacerbera davantage encore, lorsque l’un des adversaires aura momentanément triomphé, même s’il jugule ses opposants.

En ce qui les concerne, les travailleurs groupés dans l’U. F. S. A. n’attendent rien de la démocratie. Ils savent que le développement de celle-ci signifie le maintien du Capitalisme dans ses privilèges et la continuation de l’asservissement du travail.

Aux prétendus droits du Capital, ils opposent les droits véritables du travail, qui ne peuvent trouver leur expression que par la libération des travailleurs, la suppression du capitalisme et du système qui le soutient et non dans une conciliation impossible des intérêts opposés.

Ils savent que l’État-patron oppresse ses ouvriers, ses employés, ses fonctionnaires doublement : politiquement et économiquement.

Aussi, considérant que la tendance de la démocratie, qui est d’étendre indéfiniment le champ d’action de l’État par l’extension de la politique des monopoles, conduira en fait à ce double asservissement un nombre sans cesse plus élevé de travailleurs, l’U.F.S.A. déclare que le Syndicalisme a pour devoir de revendiquer pour les Syndicats, la pleine autonomie dans l’organisation du travail, de tenter de détruire les hiérarchies arbitraires et incompétentes qui, dans les services publics, dominent les travailleurs et paralysent leur efforts ; de faire restituer aux intéressés eux-mêmes (par le contrôle syndical) les droits de régler les questions d’ordre technique et professionnel, d’enlever aux hommes politiques et aux partis qu’ils représentent la possibilité de s’ingérer dans le recrutement du personnel, en un mot de neutraliser à la fois la puissance malfaisante de l’État et celle non moins malfaisante du Patronat.

C’est une œuvre qui relève essentiellement de l’activité du syndicalisme, si ce dernier veut défendre hardiment les ouvriers contre les démocrates et s’opposer au triomphe de la démocratie, de la république des camarades, de la médiocrité et de l’irresponsabilité.

En monopolisant, l’État devient entrepreneur. Comme tel, il prétend être, à la fois, industriel ordinaire et patron privilégié. Or, comme industriel, il est incompétent et, comme patron, il est tyrannique.

Le syndicalisme doit donc se dresser et lutter contre les institutions composées de représentants de l’État, des patrons et des ouvriers, dont le but est d’acheminer l’ordre social vers la démocratie. C’est le rôle de ses groupements comme, demain, ce sera le rôle de ces mêmes groupements d’assumer les charges de l’organisation sociale.

Les travailleurs n’ont pas davantage foi dans leur soi-disant affranchissement par l’État et les Partis. Ils n’attendent rien que d’eux-mêmes et de leur action. Ils se refusent à reconnaître à un Parti le droit de parler en leur nom et à l’État d’administrer la chose publique à leur place. — Ils se souviennent, à ce sujet, des multiples enseignements des révolutions passées. — Ils n’ont oublié ni la façon dont le Conseil municipal de Paris accueillait leurs revendications en 1790, ni le vote de la loi Le Châtelier en 1791, par l’Assemblée constituante, ni les fusillades du faubourg St-Antoine en