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aucun compte de la couleur locale. Ainsi Véronèse représente les Noces de Cana ou le Repas chez le pharisien dans des édifices de son époque et avec des personnages vêtus comme l’étaient ses contemporains. — On emploie aussi le mot anachronisme pour désigner une chose non conforme aux mœurs d’une époque. Exemple : la royauté commence à paraître un anachronisme.


ANALOGIE n. f. (du grec analogia, rapport). Une analogie est une ressemblance, une similitude partielle d’une chose avec une autre. Exemple : les discours des politiciens présentent tous une analogie, c’est que, tous, ils font des promesses que leurs auteurs sont bien décidés à ne pas tenir. La vie fourmille d’analogies et de ressemblances, mais il faut que l’esprit soit assez clairvoyant pour ne pas se laisser aller à des confusions qui pourraient être souvent regrettables dans le domaine des idées.


ANALYSE n. f. (du grec nalusis, décomposition). En philosophie, l’analyse est la méthode qui va du composé au simple. Analyser un raisonnement c’est en étudier séparément chaque argument pour mieux en connaître la valeur. Il est utile, sinon indispensable, d’avoir recours à l’analyse pour éprouver la véracité et le bien-fondé d’un jugement ou d’une opinion. C’est pour cela que les propagandistes anarchistes, aussi bien pour critiquer la thèse de leurs adversaires que pour bâtir solidement leur thèse propre, doivent employer la méthode analytique. Leurs raisonnements en seront plus puissants et plus persuasifs. — Le mot analyse est également très employé en chimie : l’analyse chimique a pour objet de déterminer la nature des éléments qui forment un corps composé (analyse qualitative) et aussi les proportions en poids et en volume, suivant lesquelles chacun d’eux entre dans la composition (analyse quantitative). Dans une analyse chimique, tantôt on opère sous l’influence de la chaleur et avec des réactifs à l’état sec, tantôt on se sert de réactifs liquides : dans le premier cas, l’analyse est dite par voie sèche ; dans le second, par voie humide. On utilise aussi pour certaines analyses le spectre (analyse spectrale), le microscope (analyse microscopique). — L’analyse est aussi usitée dans les mathématiques ; analyse mathématique : algèbre pure ou toute autre partie de la science : géométrie, mécanique, etc… soumise aux calculs algébriques ; analyse transcendante, analyse infinitésimale : le calcul différentiel et intégral. — En grammaire, on distingue l’analyse logique (analyse qui consiste à décomposer la phrase en propositions et chaque proposition en sujet, verbe et attribut) et l’analyse grammaticale (analyse qui prend les mots un à un pour en indiquer l’espèce, le genre, le nombre, la fonction, etc…). — Le contraire de l’analyse est la synthèse.


ANARCHIE n. f. (du grec : a privatif et archè, commandement, pouvoir, autorité).

Observation préalable. Cette Encyclopédie anarchiste ayant pour objet de faire connaître l’ensemble des conceptions : politiques, économiques, philosophiques, morales, etc., qui partent de l’idée anarchiste ou y conduisent, c’est au cours de cet ouvrage et à la place même que doit logiquement occuper chacune d’elles, que seront exposées les thèses multiples qu’embrasse l’étude exacte et complète de ce sujet. Ce n’est donc qu’en l’approchant, en soudant, avec méthode et continuité, les diverses parties de cette Encyclopédie qu’il sera possible au lecteur de parvenir à la compréhension totale de l’Anarchie, de l’Anarchisme et des Anarchistes.

En conséquence, je n’exposerai ici que dans ses grandes lignes, d’une façon resserrée et synthétique, ce qui

constitue l’essence même de l’Anarchie et de l’Anarchisme. Pour les détails — et il sied d’observer que d’aucuns ont une grande importance — le lecteur voudra bien consulter les mots divers auxquels ce texte les priera de se reporter.

Étymologiquement, le mot « Anarchie » (qui devrait s’orthographier An-Archie) signifie : état d’un peuple et, plus exactement encore, d’un milieu social sans gouvernement.

Comme idéal social et comme réalisation effective, l’Anarchie répond à un modus vivendi dans lequel, débarrassé de toute contrainte légale et collective ayant à son service la force publique, l’Individu n’aura d’obligations que celles que lui imposera sa propre conscience. Il possèdera la faculté de se livrer aux inspirations réfléchies de son initiative personnelle ; il jouira du droit de tenter toutes les expériences que lui apparaîtront désirables ou fécondes ; il s’engagera librement dans les contrats de tous genres qui, toujours temporaires et révocables ou révisibles, le lieront à ses semblables et, ne voulant faire subir à personne son autorité, il se refusera à subir l’autorité de qui que ce soit. Ainsi, souverain maître de lui-même, de la direction qu’il lui plaira de donner à sa vie, de l’utilisation qu’il fera de ses facultés, de ses connaissances, de son activité productrice, de ses relations de sympathie, d’amitié et d’amour, l’Individu organisera son existence comme bon lui semblera : rayonnant en tous sens, s’épanouissant à sa guise, jouissant, en toutes choses, de sa pleine et entière liberté, sans autre limite que celles qui lui seront assignées par la liberté — pleine et entière aussi — des autres Individus.

Ce modus vivendi implique un régime social d’où sera bannie, en droit et en fait, toute idée de salariant et de salarié, de capitaliste et de prolétaire, de maître et de serviteur, de gouvernant et de gouverné.

On conçoit que, ainsi défini, le mot « Anarchie » ait été insidieusement et à la longue détourné de sa signification exacte, qu’il ait été pris, peu à peu, dans le sens de « désordre » et que, dans la plupart des dictionnaires et encyclopédies, il ne soit fait mention que de cette acceptation : chaos, bouleversement, confusion, gâchis, désarroi, désordre.

Hormis les Anarchistes, tous les philosophes, tous les moralistes, tous les sociologues — y compris les théoriciens démocrates et les doctrinaires socialistes — affirment que, en l’absence d’un Gouvernement, d’une législation et d’une répression qui assure le respect de la loi et sévit contre toute infraction à celle-ci, il n’y a et ne peut y avoir que désordre et criminalité.

Et pourtant !… Moralistes et philosophes, hommes d’État et sociologues n’aperçoivent-ils pas l’effroyable désordre qui, en dépit de l’Autorité qui gouverne, et de la Loi qui réprime, règne dans tous les domaines ? Sont-ils à ce point dénués de sens critique et d’esprit d’observation, qu’ils méconnaissent que : plus augmente la réglementation, plus se resserre le réseau de la législation, plus s’étend le champ de la répression, et plus se multiplient l’immoralité, l’abjection, les délits et les crimes ?

Il est impossible que ces théoriciens de « l’Ordre » et ces professeurs de « Morale » songent, sérieusement et honnêtement, à confondre avec ce qu’ils appellent « l’Ordre » les atrocités, les horreurs, les monstruosités dont l’observation place sous nos yeux le révoltant spectacle.

Et — s’il y a des degrés dans l’impossibilité — il est plus impossible encore que, pour atténuer et a fortiori faire disparaître ces infamies, ces savants docteurs escomptent la vertu de l’Autorité et la force de la Loi.

Cette prétention serait pure démence.