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auditifs, visuels et kinesthésiques (sens des mouvements internes). Le système nerveux de l’enfant est alors constitué par des complexes de réflexes peu nombreux, mais solidement organisés, tels que réflexes alimentaires, réflexes musculaires, réflexes sensuels, etc. (tendances primitives).

On peut considérer toutes les excitations extérieures non pas comme des excitations continues, mais comme une suite innombrable d’excitations se répétant incessamment dans le temps. Chaque sensation est ainsi formée d’un nombre considérable d’excitations déterminant autant d’influx nerveux, parcourant tout d’abord les voies inférieures du réseau nerveux et se liant, par conséquent, aux réflexes organiques absolus. Mais ces influx gagnent également les voies supérieures, et, se diffusant dans les neurones encore vierges de toute impression, commencent à créer des liaisons d’autant plus solides que les mêmes excitations se répéteront plus fréquemment. Ces réflexes, particulièrement étudiés par Pavlov, se forment par coïncidence avec des réflexes absolus. Par exemple, un chien excité par un aliment (réflexe absolu) émet des gouttes de salive ; si l’on accompagne son repas d’un son, ce son suffira à lui seul, après quelques expériences, pour déterminer l’apparition des gouttes de salive. C’est là un réflexe conditionnel.

Comme l’enfant subit simultanément des myriades d’excitations par toutes ses cellules sensorielles, on conçoit que le monde extérieur, malgré ses aspects infiniment variés, fixe en lui, par le double phénomène de la diffusion des influx nerveux et des liaisons temporaires, des représentations permanentes de tous les objets. Désormais, l’activité nerveuse se décomposera en trois phases : réflexes absolus organiques, reconnaissance du monde extérieur, adaptation aux variations de ce milieu. Ce qui correspond physiologiquement aux divers étages du réseau nerveux parcouru par l’excitation ; réflexe absolu dans la moelle et le bulbe, reconnaissance dans les appareils analyseurs, adaptations dans les centres d’association et les appareils déclencheurs de mouvement.

On comprend mieux ainsi les erreurs de la vieille psychologie associationniste et la justification des reproches qu’on lui adressait. Cette psychologie supposait, en effet, que chaque sensation se groupait avec d’autres sensations, telle une collection d’images statiques, et l’on s’étonnait que d’une association de morceaux ainsi agglutinés pût sortir une pensée neuve et originale. Les choses se passent en réalité tout autrement.

Chaque influx nerveux se diffuse primitivement dans l’enchevêtrement des neurones, créant des voies multiples et préparant des voies nouvelles à d’autres influx ultérieurs. On conçoit que chaque sensation contient ainsi du connu, que l’analyseur diffuse dans les voies déjà tracées antérieurement, mais qu’elle contient aussi de l’inconnu qui trace un chemin particulier.

Or, dans ces cheminements d’influx différents, partis de zones sensorielles différentes, il se crée nécessairement des fusionnements, des liaisons, des créations incessantes, variant à tout instant sous l’influence des variations extérieures. La connaissance ainsi comprise est avant tout ACTION. Connaître, c’est agir ; c’est répondre utilement à une excitation du milieu.

La connaissance est donc essentiellement formée des modifications cérébrales créées dans le temps par des millions d’influx nerveux (réflexes conditionnels) et par des liaisons momentanées jaillies de ces modifications.

Tandis que les généralités (arbre, maison, chien, nombre, etc.) deviennent ainsi des éléments permanents de la connaissance, certains complexes de réflexes se forment, constituant autant de centres affectifs puissants, d’où l’énergie nerveuse rayonne, se diffuse plus ou moins longuement dans différentes directions, sous l’in-

fluence des excitations extérieures. Ces complexes de réflexes ou centres affectifs, probablement formés dans le cerveau moyen, comprennent la plupart des activités humaines groupées sous les noms de sexualité, ambition, orgueil, grégarisme, misanthropie, jalousie, curiosité, sportivité, esthétique, amoralisme, éthique, etc. (développement des tendances primitives).

Les excitations extérieures atteignant ces centres affectifs peuvent y libérer très lentement, ou très brusquement, leur énergie nerveuse. Dans le premier cas, cette libération est d’autant plus efficace que le centre est plus puissant, l’énergie nerveuse plus abondante, le réseau des réflexes mieux établi. Alors, l’influx nerveux gagne les centres d’associations, chemine dans diverses voies, se disperse en d’innombrables ramifications et peut, soit se résorber par une diffusion très étendue (acte manqué) ; soit se joindre finalement à d’autres influx voisins et, créant une voie nouvelle, déterminer un acte, ou une longue série d’actes adaptatifs.

Dans le deuxième cas, la brusque libération de l’influx ne permet pas à celui-ci de gagner les centres d’associations ; il passe par les voies réflexes les plus courtes, emprunte les chemins les plus ouverts et se traduit très rapidement par un acte plus ou moins approprié aux faits. Ainsi agissent la peur, la colère l’indignation, la jalousie, la haine, l’envie, les grands désirs, les fortes joies et toutes les passions.

Un exemple fera mieux comprendre la formation d’une pensée.

Supposons un enfant de quelques années laissé seul dans sa maison et ayant faim. Un centre affectif puissant existe en lui : celui de la nutrition. Ce centre, excité par la sensation de la faim, libère plus ou moins violemment de l’énergie nerveuse. Suivant le tempérament de l’enfant, cette énergie débordera les voies normales conduisant aux réseaux des réflexes conditionnels et des liaisons momentanées ; elle s’écoulera par les voies les plus anciennes et les plus faciles, utilisant les complexes de réflexes les plus primitifs : appels, cris, pleurs, accès de colère, trépignements, etc…

Si le tempérament de l’enfant est plus réfléchi, après quelques appels infructueux, il agira autrement. Il faut, en ce cas, considérer l’acquis de cet enfant à ce moment-là. Depuis sa naissance, le centre affectif de la nutrition s’est construit par additions d’innombrables réflexes conditionnels. Tout ce qui excitait ses sens, pendant le fonctionnement de ce besoin primordial, s’est lié à ce besoin : vision des locaux, meubles et ustensiles servant aux repas (tables, chaises, buffet, étagères, assiettes, pots, casseroles, verres, etc.) ; faits et gestes des personnes s’en occupant (ouverture, déplacement, utilisation des meubles, préhension des objets, etc.) ; et bruits particuliers ou odeurs précédant on accompagnant les repas.

Chez cet enfant moins emporté, l’influx nerveux se diffuse d’abord dans plusieurs directions sans issue. Je dis sans issue parce que le fait d’attendre encore un peu, d’appeler à nouveau ou de continuer à jouer, ne libère nullement l’énergie sans cesse stimulée par la faim. L’influx nerveux déclenché par ce besoin vital est beaucoup plus en relation avec le complexe des réflexes conditionnels formés par les repas qu’avec ceux du jeu.

L’énergie se diffusant plus longuement dans ce réseau complexe, plusieurs potentiels se forment, des voies nouvelles et voisines s’ouvrent, la liaison aliment-cuisine s’établit, et, l’influx nerveux s’écoulant vers les centres moteurs, l’enfant se dirige vers la cuisine. Si tout y est fermé à clef et hors d’atteinte, la vue des portes et des serrures (excitations visuelles) déclenchera d’autres reflexes conditionnels liés à l’usage de ces meubles. Il peut se faire qu’aucun de ces réflexes n’aboutisse. Aucune liaison nouvelle ne s’effectuera. L’influx nerveux se dispersera sans effet moteur. Ce sera un acte