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que les masses apprendront le vrai chemin menant au but.

Mais, pour que les expériences négatives soient utiles, pour qu’elles puissent servir de leçons, pour qu’elles permet lent d’atteindre, dans un minimum de temps, et avec le minimum de souffrances et de victimes, le succès final, — il existe une condition essentielle, indispensable : il faut que tout égarement, toute faute, toute erreur d’importance, puissent être rapidement repérés, signalés, reconnus, largement discutés et réparés. Une négligence, une faiblesse à cet égard pourrait avoir des conséquences très graves pour la révolution, pourrait même lui être fatale. Or, cette condition sine qua non en exige une autre, non moins indispensable. En effet, pour qu’une erreur puisse être relevée, discutée et corrigée à temps, il faut qu’elle ne soit pas voilée, cachée, étouffée. Il faut que, dés le début, et durant toute la révolution, toute erreur soit carrément avouée et la vérité hautement affirmée. (C’est en partie pour cette raison que la liberté d’opinion, de parole et d’action est si précieuse, et que la dictature est impuissante). Dans la grande révolution sociale, — dans cette œuvre immense et compliquée, intéressant des millions d’hommes, œuvre où les erreurs doivent être nombreuses et qui, cependant, devra aboutir non pas à un nouvel égarement, mais au vrai but, au résultat intégral, définitif, — une sincérité absolue, une franchise entière, sont de rigueur. La vérité entière — vérité de partout et de tout instant — doit constamment éclairer le chemin de la révolution sociale, pour que ses erreurs puissent être liquidées et ses expériences négatives utilisées.

Dans les conditions historiques données, dans l’ambiance sociale actuelle, l’égarement politique — Etat, Gouvernement, etc. — est presque fatal, au début de la Révolution. Il est d’une gravité extrême. Et il n’y a que nous, les anarchistes, pour le signaler, pour crier au danger.


Revenons au bolchevisme. Incontestablement, il est un fait historique et mondial d’une immense portée. Mais quel est son vrai sens historique ? Quelle est son « utilité » ? Nous affirmons que, justement, le bolchevisme n’est autre chose qu’un égarement politique survenu au début de la révolution sociale mondiale : donc, une expérience négative. Nous estimons que le seul sens historique du bolchevisme est de démontrer aux masses laborieuses de tous les pays, une fois pour toutes et d’une façon palpable, incontestable, définitive, le péril du principe politique, étatiste, gouvernemental, pour la révolution sociale. Nous considérons que la seule « utilité » du bolchevisme est d’avoir donné aux masses de tous les pays, dès les débuts de la révolution sociale, cette leçon pratique, indispensable, — leçon d’une vaste envergure, d’une longue durée, et d’un fini parfait : comment il ne faut pas faire la révolution. Jadis, en Russie, la légende du tsar fut tuée, en définitive, par le tsar lui-même : par cette « expérience négative » du 9 janvier 1905 (ce qui permit, ensuite, de faire rapidement, facilement, la révolution anti-tsariste lorsque le bon moment arriva). De même, aujourd’hui, la légende étatiste, la légende de la dictature, sera tuée par les étatistes, par les dictateurs eux-mêmes : par cette autre expérience impressionnante, formidable, de la révolution russe, expérience qui, avec ses résultats négatifs évidents, palpables, déblaiera le chemin et préparera le terrain à la rude révolution sociale mondiale. Ainsi, pour que les masses apprennent la bonne méthode, il leur faut une bonne leçon expérimentale. Ces sortes de leçons historiques constituent, sous certaines conditions d’ensemble, leur principale éducation.

Mais, pour que les masses des autres pays puissent, en temps opportun, tirer parti de cette leçon, il est

indispensable que toute la vérité sur le bolchevisme — sur sa véritable nature, sur ses actes néfastes, sur ses résultats lamentables, et sur son échec de plus en plus net — soit affirmée sans retard ni ménagements, soit étalée au grand jour, illustrée, expliquée, commentée…

Telle est la raison suprême qui nous oblige de dire sur le bolchevisme toute la vérité, quelque cruelle qu’elle soit pour ceux qui se laissent bercer par des illusions. Nous sommes convaincus que tel est noire devoir sacré.


L’impuissance créatrice, la « trahison » (comme s’exprimèrent jadis les marins de Cronstadt) et le despotisme inouï du gouvernement bolcheviste, provoquèrent-ils des réactions dans le pays ?

Certes, oui. Et ceci, dans deux sens diamétralement opposés.

D’une part, comme le lecteur sait, deux mouvements contre-révolutionnaires très vastes et très graves, —. mouvements qui, à un moment donné, présentèrent une menace extrêmement sérieuse pour le pouvoir bolcheviste, — s’étaient formés dans le sud, en 1919 et en 1920.

Les premières résistances à la révolution, en 1917 et. 1918, — résistances tout à fait locales et assez anodines, malgré leur acharnement, — étaient plus ou moins naturelles : comme toujours, certains éléments purement réactionnaires se dressèrent contre la révolution et tâchèrent de la combattre. Une majorité écrasante des ouvriers, des paysans et de l’armée étant à ce moment pour le nouvel ordre, ces résistances furent rapidement et facilement brisées. Si, par la suite, la révolution avait su se montrer réellement puissante, juste, féconde, si elle avait pu résoudre convenablement ses grands problèmes, — tout se serait certainement borné à ces quelques batailles éparses, et la victoire ne serait plus menacée. Mais, comme nous l’avons dit, le bolchevisme défigura et castra la révolution. Il la rendit impuissante, inutilement et stupidement violente, stérile, lugubre. Il désillusionna, il irrita, il dégoûta rapidement de vastes couches de la population. Nous avons déjà vu de quelle façon il jugula les ouvriers. Son action de violence et de terreur étatistes contre les masses paysannes (nous en reparlerons plus bas) aboutit à dresser ces dernières contre lui. N’oublions pas que, dans toutes les révolutions, le gros de la population reste, d’abord, neutre, hésite, attend les premiers résultats. Il est toujours nécessaire qu’une révolution puisse « se justifier » le plus rapidement possible. Sinon, toute cette population neutre se détourne de l’œuvre révolutionnaire, elle lui devient hostile ; elle commence à sympathiser aux mouvements contre-révolutionnaires, elle les soutient et les rend beaucoup plus dangereux. Telle est surtout la situation lors des bouleversements de grande envergure qui touchent aux intérêts de millions d’hommes, qui modifient profondément les rapports sociaux, et qui se font au moyen de grandes promesses de satisfaction. Cette satisfaction doit venir vite. Dans le cas contraire, la révolution faiblit, et la contre-révolution reçoit des ailes. Ajoutons que beaucoup de ces éléments neutres sont indispensables pour la bonne marche de la révolution, car ils comprennent un grand nombre d’hommes d’ « élite » : des techniciens, des gens du métier, des travailleurs qualifiés de toute espèce, les spécialistes, des intellectuels, etc… Tout ce monde, qui n’est pas précisément hostile à la révolution, se tournerait entièrement vers elle et l’aiderait puissamment, avec enthousiasme, si elle arrivait à inspirer à ces gens une certaine confiance, à leur faire sentir ses capacités, ses vérités, ses perspectives et ses possibilités, ses avantages, sa force, sa justice… Dans le cas contraire, tous ces éléments deviennent franchement ennemis de la révolution, ce qui porte à cette dernière un coup très sensible. Or, il est certain que les masses | laborieuses, exerçant elles-mêmes, avec l’aide libre des