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Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art médiéval, 1921.djvu/46

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anonyme et profonde, et par là démesurément forte, de son panthéisme intuitif. L’homme n’est plus au centre de la vie. Il n’est plus cette fleur du monde entier qui s’est employée lentement à le former et le mûrir. Il est mêlé à toutes choses, au même plan que toutes choses, il est une parcelle d’infini ni plus ni moins importante que les autres parcelles d’infini. La terre passe dans les arbres, les arbres dans les fruits, les fruits dans l’homme ou l’animal, l’homme et l’animal dans la terre, la circulation de la vie entraîne et brasse un univers confus où des formes surgissent une seconde pour s’engloutir et reparaître, déborder les unes sur les autres, palpiter et se pénétrer dans un balancement de flot. L’homme ignore s’il n’était pas hier l’outil avec lequel il fait surgir de la matière la forme qu’il sera peut-être demain. Tout n’est qu’apparences, et sous la diversité des apparences, Brahma, l’esprit du monde, est un. L’homme, sans doute, a l’intuition mystique du transformisme universel. À force de transmigrations, à force de passer d’une apparence à une autre apparence et d’élever en lui, par la souffrance et le combat, le niveau mouvant de la vie, sans doute sera-t-il un jour assez pur pour s’anéantir en Brahma. Mais, perdu comme il l’est dans l’océan des formes et des énergies confondues, sait-il s’il est forme encore, s’il est esprit ? Est-ce cela un être qui pense, un être seulement vivant, une plante, un être taillé dans la pierre ? La germination et la pourriture s’engendrent sans arrêt. Tout bouge sourdement, la matière épandue bat ainsi qu’une poitrine. La sagesse n’est-elle pas de s’y enfoncer jusqu’au crâne pour goûter, dans la possession de la force qui la soulève, l’ivresse de l’inconscient ?

Dans les forêts vierges du sud, entre l’ardeur du ciel et la fièvre du sol, l’architecture des temples que la foi faisait jaillir à deux cents pieds dans les airs, multipliait de générations en générations et entourait d’enceintes toujours agrandies, toujours déplacées, ne pouvait pas sortir d’une source moins puissante et moins trouble que les grottes creusées dans l’épaisseur des rochers. Ils élevaient des montagnes artificielles, des pyramides