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À Travers l’Inde en Automobile

À table, la conversation amène les sujets les plus divers, depuis nos aventures d’automobile jusqu’à l’incident de Fashoda. Cela vient, très simplement, à propos d’un mot anglais dont je ne saisis pas le sens exact et que Lord K… me traduit. Cette connaissance approfondie de la langue française, la pureté presque absolue de l’accent me laissant surprise, pour satisfaire ma curiosité, il ajoute très placidement : « Nous avons beaucoup discuté, M. Marchand et moi, là-bas, en Afrique, c’est ainsi que j’ai perfectionné mon français ». Puis il exalte le courage et l’endurance des troupiers de France pendant la guerre de 1870, il a servi parmi eux contre l’Allemagne, et la cordiale entente, dit-il, le compte au nombre de ses partisans. À ses heures, il est musicien, semble-t-il, car un grand piano à queue occupe une place proéminente dans une baie du salon dont la vue s’élance, en suivant le vol lourd des aigles, vers les colossales arêtes Hymalayennes. Au flanc des chaînes plus rapprochées, les maïs tachent d’or et de rouge sanglant les collines, entre lesquelles serpente et grimpe la route sèche encombrée de longues files de chameaux.

La causerie effleure tout naturellement les moyens de transport ; et lord K… se montre un fervent de l’automobile, il s’intéresse aux détails les plus techniques de nos aventures, il faut lui rappeler l’origine, la puissance de Philippe, qu’il ne connaît que sous son prénom humain ; il lui souhaite, au moment où nous prenons congé de Snowdon, une santé à toute épreuve malgré les routes défectueuses et les rivières sableuses que nous rencontrerons.

Il nous quitte, marchant lentement, entouré de ses aides de camp et boitant encore légèrement d’une récente chute de cheval.

… Cahotée dans un petit « rikshaw », que des coureurs demi-nus, ruisselants de sueur, font dévaler par les allées tortueuses de mélèzes, ma pensée évoque le rédempteur de Ladysmyth, tel qu’on me l’avait représenté sous son aspect classique d’adversaire méprisant du sexe féminin.

Puis, me remémorant les lueurs douces dont se paillètent parfois les yeux gris, je me demande s’ils n’ont pas pénétré son âme, ceux qui affirment qu’une grande appréhension ou une douleur inapaisée se cache derrière ce masque de « woman-hater ».