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MADRAS, 5 MARS.


La rivière Adyar, qui serpente au-delà des fortifications, fait le charme principal de Madras à cette époque de l’année. Elle rivalise avantageusement de fraîcheur avec la mer, dont les vagues clapottent contre un quai de briques pilées, bordé de bâtiments en briques sanguinolentes, aux dures arêtes, nettement découpées sur le ciel ardent.

En tout temps, Madras doit être une laide ville, mais en ces mois-ci, ses défectuosités saillent, elles accaparent le regard

La température insoutenable et la crudité de la lumière, caricaturent ses froids et pompeux « offices », poste, palais de justice, musées, comme un masque sémillant dérobant une face cadavérique.

Le pavé des rues, la rade, les murs des maisons, sont autant de miroirs réfléchissant un aveuglant et meurtrier soleil auquel on n’échappe que sous les ombrages du cours de l’Adyar. Cet après-midi de dimanche, journée particulièrement morne aux Indes, des amis nous emmènent en partie de canotage sur la rivière.

Les eaux sont noirâtres et peu profondes, les bancs de sable abondent. Cependant, malgré plusieurs échouages, ces quelques heures ne laissent pas d’être fort agréables et rafraîchissantes.

L’on découvre en bateau une seconde Madras, parfaitement différente de la cité commerçante, sale et poussiéreuse, où le train nous a déposés. Sur les rives ombragées de bois de cocotiers, de mimosas, sont disposées des villas dont les jardins descendent en terrasse jusqu’à l’eau : de petits yachts à voiles, des canots à vapeur, des périssoires ancrées au bas des parcs, témoignent de la passion britannique pour les sports nautiques. Des voiles semblables à de grands papillons blancs voltigent de tous côtés ; vers le soir, elles disparaissent une à une fuyant devant la tempête qui se lève. Une barque solitaire reste immobile au milieu du courant, un pêcheur indigène la guide, et sa haute taille bronzée, sinistrement éclairée par la lueur des éclairs, se dresse, évocation splendide d’un nautonnier infernal.