Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/298

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d’une étroite cité, ne craignait pas d’arracher l’enfant à la famille et de le livrer tout entier, corps et âme, à la république. (Applaudissements.}

Quand le christianisme vint remplacer la civilisation antique, une conception du même genre se rencontra chez les hommes supérieurs qui eurent, pendant une longue série de siècles, la direction de la société chrétienne. Je suis de ceux, messieurs, qui ont pour le christianisme une admiration historique (rires) très grande et très sincère ; je trouve qu’il s’est fait là, pendant dix-huit siècles, un travail d’hommes et de cerveaux humains qui est à confondre d’admiration, quand aujourd’hui on l’étudie d’un peu haut et qu’on l’analyse dans son ensemble. Ah ! c’étaient des hommes puissants par la pensée ; ce n’étaient pas seulement des prêtres, c’étaient des hommes d’ État, ces organisateurs de la société chrétienne et catholique qui ont fondé tant de choses que nous avons tant de peine à transformer. Eh bien, on retrouve chez eux le principe dont nous parlons ; on reconnaît facilement, on peut toucher du doigt, dans la société catholique, dans la société du moyen âge, le principe de l’égalité d’éducation.

De même que la république antique arrachait les enfants à leurs familles en disant : l’enfant appartient à la république ; de même, le christianisme, arrivant dans des temps différents pour établir, par-dessus les divisions politiques et les différences de nationalités, une sorte de république chrétienne, le christianisme disait : l’enfant appartient à l’Église, et alors il institua pour l’enfant, non seulement pour l’enfant riche, – je le dis à son honneur, – mais tout autant pour l’enfant pauvre, un mode d’éducation dont le principe caractéristique était rigoureusement égalitaire. Au premier degré, on apprenait le catéchisme (rires nombreux) ; au second degré, on apprenait la langue sacrée, le latin, et puis, quand on avait appris ces deux choses, on savait tout ce qu’il importait de savoir dans la société chrétienne (applaudissements et rires) : on était un chrétien accompli, un savant, un clerc, on avait toute la science chrétienne.

Cet enseignement subsista pendant des siècles, puis il dégénéra, et, comme toutes choses, se décomposa. Ceux qui ont lu Rabelais peuvent se rappeler le premier chapitre de cette œuvre