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Page:Feuillet Echec et mat.djvu/22

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ACTE V.



Scène I.

LA REINE, LA DUCHESSE, en scène au lever du rideau.
LA DUCHESSE.

Votre Majesté daigne me reconduire jusqu’à mon appartement !

LA REINE.

Oh ! ne me remercie pas !… si je suis venue jusqu’ici, Diana, c’est que la chambre d’une reine n’est pas assez sourde, assez discrète pour ce que j’ai à te dire, pour ce que j’ai à apprendre de toi ! Diana, tu me caches quelque secret terrible !

LA DUCHESSE.

Moi, madame !

LA REINE.

Oh ! la tristesse est naturelle, je le sais, après le départ de ton mari ! mais ce n’est pas de la tristesse seulement que je vois dans tes yeux ; c’est de l’effroi, c’est de la terreur ! Depuis que je suis sortie de cet évanouissement, tu es là, près de moi à trembler que je ne t’interroge.

LA DUCHESSE.

Votre Majesté se trompe.

LA REINE.

Diana, pendant cet incendie, qui m’a sauvée ?

LA DUCHESSE.

Je vous l’ai dit, madame, c’est le duc d’Albuquerque.

LA REINE.

Le duc ! et dans cette course précipitée dont il me reste un souvenir confus comme d’un rêve où d’un délire, quand il m’a semblé qu’un souffle brûlant effleurait mes cheveux, se posait sur mon front…

LA DUCHESSE.

La flamme que vous traversiez, sans doute.

LA REINE.

La flamme ! oui ! et c’est le duc, n’est-ce pas, que le roi a vu à mes pieds ? Cette sombre voiture attelée dans la cour du palais, quand le duc est parti depuis une heure, c’est encore pour le duc, n’est-ce pas ?

LA DUCHESSE.

Madame, madame, au nom du ciel !

LA REINE.

Ah ! c’est ce jeune homme qui va mourir, Diana, je le sens bien ! et toi, tu sais pour quel crime !

LA DUCHESSE.

Ah ! silence, silence !


Scène II.

LA REINE, RIUBOS, LA DUCHESSE, au fond.
RIUBOS.

Pardon, Majesté, le roi m’a ordonné de venir attendre le comte-duc dans cette salle.

LA REINE.

C’est bien, monsieur. (À Diana.) Le ministre ! tu as entendu. Oh ! je ne veux pas voir cet homme ! va, Diana, va ; et si tu souffres, si tu es malheureuse, songe à moi !

LA DUCHESSE.

Adieu, adieu, ma souveraine ! (Elles rentrent, la duchesse par la droite, la reine par la gauche : arrivées à la porte de leurs appartements, elles se retournent, et se font de la main un signe d’adieu.)


Scène III.

RIUBOS, seul.

Si j’avais osé, ma foi ! j’aurais prévenu madame la duchesse avant de remettre cette clef au roi, car, en vérité, voir le roi entrer là (Il désigne la chambre de la duchesse), tandis que le duc, un brave homme de guerre comme moi, court pour son service sur la route de Lisbonne, cela blesse tous mes instincts d’honneur ! L’honneur ! souvenir de jeunesse ! Songeons à nous : il y a deux personnes au monde qui peuvent me faire pendre : savoir, le duc d’Albuquerque et le comte-duc d’Olivares. Ainsi, mon ami, il faut choisir. Si tu suivais ton penchant, je vois bien que tu t’attacherais à monsieur d’Albuquerque à cause qu’il est homme d’épée comme toi ; mais, mon enfant, réfléchis un peu ; monsieur d’Albuquerque va faire campagne, il peut, d’un jour à l’autre, emporter les tablettes dans la tombe. Monsieur d’Olivares, au contraire, est de cette solide étoffe d’hommes d’État dont on fait les octogénaires. Pourtant, ne nous hâtons point de choisir. Allons, le premier qui se présentera… eh bien !… (Olivares entre au premier plan.) Le ministre ! c’en est fait, j’obéis au destin !


Scène IV.

RIUBOS, OLIVARES.
OLIVARES.

Tout est-il prêt, Riubos ?

RIUBOS.

Oui, monseigneur.

OLIVARES.

Le palais est fermé ?

RIUBOS.

Et l’ordre donné de ne laisser entrer qui que ce soit dans la nuit.

OLIVARES.

Monsieur de Mediana ?

RIUBOS.

Gardé à vue.

OLIVARES.

La voiture ?

RIUBOS.

Attelée. Celui qui conduit est un homme à moi.

OLIVARES.

Et ensuite ?

RIUBOS.

Ensuite, monseigneur, au détour de la place il y a huit hommes apostés ; en tournant, la voiture ira au pas, et, alors… Mais, pardon, Excellence, n’y a-t-il point de péril à tant se hâter ? Si le roi allait revenir sur un premier mouvement ?…

OLIVARES.

Vous allez voir.


Scène V.

RIUBOS, LE ROI, OLIVARES.
LE ROI entre du fond.

Eh bien ! comte-duc ?

OLIVARES.

Sire, tout est prêt ; on n’attend plus que vos derniers ordres.

LE ROI.

Allez, que dans un quart d’heure tout soit fini. (À Riubos.) Cette clef ?

RIUBOS.

Sire, la voici. (Il sort par le fond.)


Scène VI.

LE ROI, seul.

Et le duc, cet homme loyal, cet autre dévoué serviteur, qui connaissait le crime de Mediana, et qui le protégeait généreusement !… Merci, duc ! vous m’avez ôté tout scrupule. (Il tient la clef et se dirige vers l’appartement de la duchesse : comme il lève la portière, le duc paraît et lui barre le passage.)


Scène VII.

LE ROI, LE DUC.
LE ROI.

Vous, monsieur !

LE DUC.

Oui, sire, c’est moi.

LE ROI.

Quel motif vous ramène ?

LE DUC.

Sire, depuis huit jours le Portugal est perdu ; votre ministre le sait, et vous le cache : voilà le motif qui me ramène à Madrid. Quant à la raison qui me conduit à cette heure de nuit dans votre palais et jusqu’auprès de votre personne, par le premier chemin que j’ai pu m’ouvrir…