Aller au contenu

Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
l’ombre s’efface

les deux femmes que je fréquentais, Henriette Tamandy et la jeune dame Jourel, étaient au courant et ne m’en parlaient que sur le ton admiratif, parce qu’elles m’avaient vue à l’œuvre.

Mon mari vint me trouver pour me prévenir qu’il était l’heure de partir, et il eut une exclamation en me voyant :

— Oh ! ma chérie, que vous êtes en beauté !

— Tant mieux, dis-je satisfaite ; j’en suis heureuse pour vous et vos amis.

— Que ces perles ressortent autour de votre cou pourtant si blanc !

— Je pensais, en les attachant, à la joie que j’ai eue lorsque vous me les avez données.

— Vous êtes un ange.

Nous quittâmes la maison. Dans la voiture qui nous emmenait, je ne songeais qu’à la tendresse de Jacques et à ce grand bonheur qui m’était échu. Une prière intérieure s’imposa à moi, afin que nul nuage ne vînt obscurcir cette félicité. Cependant, durant la fraction d’une seconde, l’ombre de ma naissance se profila devant mon esprit.

Je ne savais pas d’où je venais. Je secouai cette idée importune, comme on se débarrasse d’une écharpe encombrante qui soudain vous gêne par sa chaleur. J’étais habituée aux retours de ce fantôme et je n’y attachai pas plus d’importance que les autres fois. Je savais que c’était mon poison qui, de temps à autre, venait me troubler. Je me disais que chacun devait avoir sa peine obscure qui venait rappeler que la joie n’est jamais parfaite.

Nous arrivâmes chez M. de Gritte les derniers. J’étais grandement accoutumée à la foule et je la regardais sans effroi, mais je n’étais pas habituée à des espaces resserrés où des personnes bavardent.

En entrant dans le salon de M. de Gritte, je crus voir des visages grossis par une loupe et entendre un bruit de tonnerre. Pourtant le nombre des personnes ne se montait qu’à six. Elles m’étaient inconnues, sauf le maître de la maison et son fils. Il y avait là deux dames qui me parurent des merveilles. Je fus présentée à M. et Mme Saint-Bart. Celle-ci était la sœur de M. de Gritte. L’autre était une amie de cette dernière avec son mari. On me les nomma : baron et