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Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/48

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l’ombre s’efface

bien volontiers sortie de la voiture pour m’informer de ses occupants, mais à quoi bon cette curiosité qui n’était qu’un réflexe dû à une sympathie sans raison ?

Nous filâmes vivement vers Mantes. Ah ! que mon cœur était serré en revivant les heures affreuses de la soirée où je m’étais trompée sur Garribois. Ce sou­venir m’oppressait. Je pleurais presque sur moi-même en pensant que, candide, j’arrivais dans cette maison qui n’était qu’un piège horrible. Mon beau rêve s’était éteint là. En quelques minutes, toute la splendeur de la vie s’était écroulée. Quand je revis cette ville jolie, avec son site paisible et son paysage calme, je ne pus que mettre en parallèle le bouleversement que j’éprouvai alors ! Enfin, j’étais arrivée au port et je n’avais qu’à me féliciter d’avoir été sauvée de la honte.

La mémoire est terrible dans certains cas, et les tristesses de la déception restent indélébiles.

Malgré l’amour que me montrait Jacques, je restais désespérée de ces moments stupides où je croyais être aimée de Garribois. Ils s’accrochaient en moi comme une tache.

Je fus soulagée quand la traversée de Mantes fut faite. Mon mari n’eut aucune allusion sur le passé et je sentis peu à peu mon angoisse se dissiper. Je me plus à jouir de la sérénité de la campagne. Je redevins gaie. Nous arrivâmes rapidement à Vernon, où mon mari s’acquitta de la démarche qu’il avait à y faire.

Je n’avais pas voulu l’accompagner chez le per­sonnage savant qu’il devait voir, préférant marcher un peu au hasard, dans la ville. Je vis une église ravissante de style gothique, avec un portail comme une dentelle, le vieux pont si célèbre et les belles allées d’arbres menant au château de Bizy. La Seine séparait Vernon de Vernonnet où l’on voyait les tours du vieux château fort, devenu une prison.

Mon mari me retrouva devant notre voiture où je fus avant lui. Nous arrivâmes vite dans notre maison où je me sentis à l’abri de tout danger.

Jacques me demanda affectueusement si je n’étais pas fatiguée, et je pus lui répondre que j’étais enchantée de notre course.

— Je regrette, me dit-il, de ne pas m’être arrêté à