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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/140

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marane la passionnée

— Qu’as-tu fait ?

— Je me suis promenée.

— Du côté des Crares ?

Je ne répondis pas. L’accent avec lequel cette question était posée me déplut. J’avais réuni tant d’efforts pour ne pas aller du côté de cette propriété, que je fus froissée dans ma dignité par le soupçon de ma mère.

Mon silence lui parut un aveu.

— Malgré ma défense formelle, tu t’es encore montrée de ce côté-là !

Nos regards se croisèrent. Forte de ma conscience, je ne baissai pas les yeux.

— Tu vas te compromettre plus que jamais, poursuivit maman. Je ne sais pas ce que tu as dans la tête ! Tu me feras mourir.

— Oh ! maman !

— Oui, mourir ! Il y a des moments où je me demande si je ne dois pas te laisser ici et me retirer, moi, dans un couvent, pour y vivre enfin des jours calmes. Tu n’as pas la moindre dignité, pas le moindre souci du respect que tu te dois.

J’aurais pu interrompre ma mère et lui avouer en quelques paroles toute la déférence que j’avais eue pour ses recommandations, toute la volonté que j’avais employée pour ne pas me laisser aller à cet aimant qui m’attirait.

Mais je ne le fis pas. Je me tus pendant que maman continuait à me charger d’anathèmes.

Par perversion, sans doute, je savourais avec joie l’erreur que commettait maman. Mon silence l’encourageait à me supposer coupable de désobéissance. Elle m’accablait, mais je pouvais tout supporter, parce qu’un sentiment très haut me dominait.

Je souriais même en me disant : « C’est ainsi que chemine la calomnie. Quand on croit les gens en faute, on n’a plus de frein. Ils sont accusés de tous les crimes. »

Ma mère remarqua mon sourire :

— Tu n’as donc pas d’entrailles ! Quelle triste nature possèdes-tu donc ?

Maman recommença ses reproches. Je ne l’écoutais plus. Je m’enfonçais dans un rêve qui n’en finissait pas. J’avais