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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/15

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marane la passionnée

pagnes de son âge, et ainsi seraient supprimées les promenades au clair de lune.

Ah ! si j’avais été à la place de maman, j’aurais crié : « Sortez ! » Mais elle était terrifiée par ce que cet homme osait. Elle devinait confusément sa force, née de quelque calcul obscur, et elle ne voulait pas faire de scandale.

Elle se contenta de balbutier :

— Je réfléchirai. Vous avez une excellente idée.

— Il ne faut pas réfléchir très longuement, Madame, et marier mademoiselle dès ses dix-huit ans. Je connais un châtelain dans les environs, mais il est fort pointilleux sous le rapport réputation. Je sais que le nom de Mlle de Caye lui conviendrait parce qu’il tient plus à la famille qu’à la fortune, mais il faut être prudent.

Ce ton de conseilleur et cette leçon à ma pauvre petite maman ! J’étais outrée. Elle ne répondait pas et je jugeais qu’elle devait boire le calice jusqu’à la lie.

Chanteux en profita pour reprendre :

— Je crois qu’il serait préférable de ne pas laisser Mlle Marane trop longtemps en compagnie de M. Évariste. Il revient de la ville et il aura sans doute des idées de liberté qui ne feront qu’émanciper davantage mademoiselle votre fille.

Je suffoquais.

— Oh ! se récria tout de même maman, jamais ma fille ne consentira à partir tant que son frère sera ici !

Il y eut un silence et le régisseur dit :

— Croyez-moi, Madame, je parle dans votre intérêt ; le monde est stupide et je ne veux pas que vous ayez le chagrin de voir l’avenir de Mlle Marane compromis par des inconséquences d’enfant.

Que Chanteux paraissait loyal !

Ma mère répondit d’une façon plus dégagée :

— Votre façon d’envisager les choses est juste. La mauvaise saison, d’ailleurs, n’est pas amusante pour une jeune fille dans nos pays.

— Et Mlle Marane sera sans doute fort aise de changer d’air et de milieu.

Je n’éprouvais nul contentement. J’étais très vexée que l’on