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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/150

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marane la passionnée

— Je ne leur cacherai pas la vérité ; je leur avouerai que tu as eu peur de mes excentricités. Et puis, ajoutai-je, leur opinion doit t’être indifférente.

Ma mère ne répondit pas. Elle s’était enfoncée dans un fauteuil et regardait l’âtre où flambait une bûche.

Je criai :

— Cette flamme est mon image. Elle va où elle veut !

— C’est-à-dire, protesta vivement maman, que ta volonté n’exerce aucun effort pour se retenir. Ton imagination vagabonde, comme ta personne, au gré de ses caprices.

Ces paroles de ma mère me frappèrent vivement. Suis-je donc le jouet d’une force supérieure ? Je ne le crois pas. Ma volonté sait se contraindre quand il le faut. Je protestai :

— Pour tout, excepté pour cet amour qui vient d’éclore dans mon cœur, je suis forte. Mon libre arbitre s’affaiblit dès que je pense à lui.

— Tu es folle ! cria ma mère.

— Alors, tu sais qu’il n’y a pas de guérison.

Maman me regarda, non sans terreur.

— Tu es folle ! répéta-t-elle avec éclat. Il y a quelques jours, tu aimais M. de Nadière, et aujourd’hui, c’est M. Descré. Tes sentiments n’ont aucune consistance.

— Je ne puis t’expliquer, maman, répondis-je posément, pourquoi j’étais poussée vers M. de Nadière ; je suppose que c’était uniquement parce que Jeanne de Jilique avait dû le faire souffrir. Je m’apitoyais sur ses souffrances.

— Supposées ! railla maman.

— Si tu le veux. Mais, aujourd’hui, j’ai vu M. Descré, et c’est sa personne que j’aime, sa personne à travers laquelle transparaît son âme haute, une âme blessée qui a besoin de réconfort. Maman ! Maman ! Tu m’as donné un cœur chaud. Est-ce ma faute s’il s’incline vers ceux qui souffrent ?

— Oh ! articula maman d’une voix où roulaient des sanglots, si je pouvais croire « encore » à ton cœur compatissant ! Mais j’ai la vision d’une cruauté, et ma vie n’est plus qu’un martyre.

À ce moment, on annonça M. le curé. Ma mère reprit un visage moins affligé et j’allai au-devant de notre pasteur.

Il comprit, avec sa fine divination des âmes, que le sujet