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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/156

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marane la passionnée

rassura. M. Descré examinait les chiens. Pour la première fois depuis notre départ, il m’adressa directement la parole :

— Quelles bonnes bêtes ! murmura-t-il, pensif ; quelle fidélité et quelle loyauté !

Je ripostai de ma voix habituelle :

— Ah ! elles sont plus compréhensives que bien des humains.

Ce fut à mon tour d’être examinée. Son regard profond fouilla mon âme. Je me détournai, ne me rappelant plus que mes lunettes voilaient mes yeux.

— Il ne faut pas toujours penser aux laideurs de l’existence, Ned.

Sa mère l’appelait Ned, surnom familier.

J’avais lancé ma phrase inconsciemment. Je ne sais pourquoi le souvenir de Jeanne de Jilique m’était revenu en mémoire et je pensais à sa fourberie. Je revivais encore la souffrance dont elle avait bafoué ma fervente amitié. Cependant, je fus détournée de ce passé par la voix de M. Descré.

Il disait d’un accent assourdi :

— La nature, heureusement, est une grande consolatrice. Ici, tout se calme, tout s’efface, la vague glisse sur la vague et la vie passe en engloutissant les drames.

— Comme vous avez raison ! affirmai-je en une impulsion que je ne pus maîtriser.

Ce fut Mme Descré qui, cette fois, m’observa avec plus d’attention.

Si j’avais été timide, son regard m’eût embarrassée, mais, à travers mes lunettes, j’aurais supporté tous les examens, sauf celui de Ned, devant qui je me révélais moins brave.

Je constatais que M. Descré éprouvait les mêmes impressions que moi. Je savais, comme s’il me l’avait confié, qu’il avait été déçu et qu’il avait souffert. Je devinais qu’il était venu dans ce pays pour y trouver un apaisement. Je ne l’en aimais que davantage.

Maintenant, il m’en coûtait d’avoir dissimulé mon identité. Dans un élan de sincérité, j’allais enlever mes lunettes, dégager mon visage et mes cheveux, quand M. Descré, qui était resté silencieux depuis ma réponse, murmura :

— Je vous quitte, Mesdames.