Aller au contenu

Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
marane la passionnée

— Près d’elle, je suis austère et correcte, mais devant la mer, je redeviens jeune et gaie.

Mme Descré eut la gentillesse de rire. Profitant de son humeur plus avenante, je questionnai :

— Alors, cette malheureuse jeune femme est morte ?

J’essayais de donner à ma voix un accent apitoyé que je ne ressentais pas.

— Oui, me fut-il répondu laconiquement.

— Je comprends alors la tristesse de votre fils, mais il pourra se consoler.

— Il est moins triste parce qu’elle n’est plus que parce qu’elle l’a rendu très malheureux.

— Ah ! lui aussi ? m’exclamai-je.

— Comment ! vous avez été mariée, Mademoiselle ?

Je partis d’un éclat de rire si franc qu’elle ne put s’empêcher de m’imiter.

J’étais si heureuse de savoir « Ned » libre que rien au monde, je le croyais, ne m’aurait fait pleurer.

— Mais, Madame, je ne m’appellerais pas mademoiselle si j’avais été mariée. Je pensais simplement à un de nos parents qui a été malheureux par une méchante femme.

J’inventai cette histoire parce que je ne voulais pas raconter l’épisode de ma tentative d’amitié.

— Ah ! bien, répondit ma compagne.

Je ne la questionnai plus. Je savais ce que je désirais. Le pauvre « Ned » avait été bafoué sans doute comme moi. Il avait cru trouver un cœur à l’unisson du sien, et il s’était trompé.

C’était donc la même chose partout. J’en arrivais à cette conclusion que j’étais créée pour consoler M. Descré, car il n’y avait au monde que deux êtres honnêtes : lui et moi. Nous étions tous les deux faits pour nous entendre parce que nous étions les seuls francs, sincères, intelligents et affectueux.

— Rasco ! Sidra ! Ayaya !

Et je courus devant Mme Descré ahurie. J’avais besoin de sauter, de disperser mon contentement. En chemin, cependant, je réfléchis que ma conduite était stupide, et j’attendis la promeneuse sur un roc.