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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/170

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marane la passionnée

homme, sur une roche élevée au-dessus des eaux. Ma conscience était tranquille ; mais celle de maman ne serait certainement pas contente de me savoir poursuivant un entretien avec autant d’intimité.

Je pris mon air le plus grave pour exprimer le désir de m’en aller. Je n’étais guère sincère en débitant ces phrases, mais il faut parfois vaincre sa préférence pour accomplir son devoir.

— C’est l’heure où je dois rejoindre Mme de Caye.

— Il est déjà si tard ! s’exclama M. Descré. Alors, je vais m’en retourner aussi.

— Laissez-moi vous adresser une prière.

— Parlez, Mademoiselle !

— J’aimerais repartir seule. Je ne veux pas rencontrer un des fermiers du manoir pendant que je serai en la compagnie d’un jeune homme. Perdre ma situation me serait une grande mortification.

M. Descré, sans un mot, s’inclina comme si j’eusse été une reine, et il me laissa passer. Rasco et Sidra sautèrent devant moi comme des chèvres.

Que le retour me parut merveilleux ! Des insectes voletaient autour de moi. La mer, à ma gauche, continuait son chant, et la lande, à ma droite, se préparait au crépuscule. Des bandes pourpres s’étageaient à l’horizon, d’un côté, tandis que de l’autre, des gazes bleutées voilaient le ciel et la terre. Un bourdonnement s’apaisait sur la lande, alors que la mer devenait un peu plus houleuse.

Un enthousiasme me transportait. J’avais des ailes et un chant d’allégresse montait de mon cœur vers Dieu. Au bas de la côte, je rencontrai Lucas qui conduisait une charrette :

— Bonjour, Lucas ! La nichée se porte bien ?

— Oui, Mam’zelle, grâce à vous !

— Ne parlons pas de cela.

— Ah ! j’y pense toujours !

— Vous avez tort.

Si mes réponses étaient riantes, les paroles de Lucas étaient mélancoliques. Je n’y pouvais rien et je le quittai en lançant un « Au revoir ! » joyeux.