Aller au contenu

Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
marane la passionnée

Maintenant, j’étais curieuse de voir du monde. Je n’étais liée, jusqu’ici, qu’avec des paysannes, maman ayant supprimé tout contact avec les châtelaines des alentours, depuis la mort de mon père. Il y avait à cela une raison majeure, qui était le manque d’argent. Chanteux en donnait si peu ! Nous n’avions pas d’automobile et les chevaux, pour un attelage, n’existaient plus. Puis, maman eût aimé recevoir avec un certain faste, et elle n’osait le faire.

Elle attendait la prospérité, qui lui donnerait plus d’indépendance.

Je me réjouissais maintenant de partir pour pénétrer dans un milieu où j’espérais rencontrer une amie. C’était là le but que j’envisageais.

À nous observer, ma mère et moi, on aurait pu croire que c’était moi qui conduisais maman, tellement je m’avouais décidée.

Devant l’immeuble habité par nos cousines, elle se ressaisit pourtant.

Introduites dans un salon d’une élégance sobre, nous fûmes rapidement rejointes par notre cousine.

C’était une personne distinguée, avec des bandeaux grisonnants. Son aspect paraissait simple, mais je lui trouvai un air altier et, dans le regard, une froideur que tempérait la douceur de sa parole.

Elle et maman ne s’étaient pas vues depuis une dizaine d’années, bien qu’elle habitât Rennes durant l’hiver.

Elle nous accueillit avec cordialité.

— Que je suis contente de connaître Marane et de la garder. Mes filles sont enchantées ; elles sont sorties, mais le dîner nous réunira. Ma chère Berthe, que je suis heureuse de vous revoir !

Maman crut devoir parler de moi :

— Ma fille a vécu isolée… c’est un cheval échappé, je voudrais qu’elle gagnât plus de calme.

Mme de Jilique m’examina moins superficiellement.

— J’aimerais qu’elle prît quelques leçons de chant. Je crois que sa voix sera agréable.

— J’en parlerai au professeur de mes filles. Vous aimeriez chanter, Marane ?