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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/42

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marane la passionnée

— Oui, parce que je ne pourrais plus vivre dans une telle ambiance.

— Tu es folle !

Les yeux cruels de Jeanne réapparurent. Ils devinrent petits et fixes comme ceux du serpent.

Je dis froidement.

— Vous ne sauriez vous imaginer combien vous devenez laide quand vous oubliez de cacher votre âme.

Je n’attendis pas sa réponse. Je la quittai. Il me semblait que j’avais lutté avec Chanteux. Je ne pus dormir. La réaction inévitable m’enlevait tout sommeil. J’étais fermement résolue à partir le lendemain. Ne voulant prévenir personne, sachant qu’on me retiendrait, j’avais projeté de m’en aller dès le matin, avant le lever des domestiques. J’avais décidé de laisser là le gros de mes bagages et de n’emporter qu’une petite mallette.

À l’aube, je sortis de ma chambre. Je gagnai la porte et je l’ouvris sans bruit. J’étais dehors, libre, mais avec l’âme encore oppressée.

Je ne songeais pas à la bizarrerie de ma fuite, ni au souci qu’elle causerait à ma cousine.

Je partais parce que Jeanne de Jilique m’était devenue odieuse par sa conduite, tout simplement. J’apportais de la passion à tous mes actes. Je ne mesurais pas les conséquences, parce que j’avais conscience d’agir toujours avec netteté et loyauté.


IV


Avec quelle joie je revis mon pays ! Je respirais l’air marin comme s’il me vivifiait. À mesure que j’avançais sur ma route, une légèreté s’introduisait dans mes membres. Je sortais d’un vrai cauchemar.

— Rasco ! Sidra !

Les bonnes bêtes. Quels transports extravagants m’accueillirent. Les bons chiens n’avaient plus de voix tellement l’émotion les étranglait.