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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/45

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marane la passionnée

Maman s’arrêta et frissonna.

— Achève ! criai-je, angoissée à mon tour.

— Il se conduit mal, il…

Ma mère ne put prononcer le mot horrible qui faisait son désespoir.

— Mon Dieu ! que fait-il donc ?

— Il s’enivre, murmura maman, comme si ce mot l’étranglait.

— Lui… Évariste ? ce n’est pas possible !

— Hélas ! tu vas le voir, après une nuit d’orgie.

Maman sortit et se dirigea vers la chambre de mon frère. Je la suivis.

— Attends, Marane, ne viens pas avec moi tout de suite.

— Je t’accompagne, dis-je résolument.

Maman eut un geste d’indifférence. Elle pénétra dans la chambre d’Évariste.

Il n’avait pas pris la peine de se déshabiller. Vautré sur son lit, la bouche ouverte, il dormait profondément avec une respiration rauque.

Il prononçait des mots sans suite.

Je n’avais jamais rien vu d’aussi abject. L’ivrogne que je croisais parfois sur ma route gardait encore conscience et me saluait.

Évariste semblait une bête que la matière seule conduisait.

Ma mère délaça les souliers crottés, ramena les couvertures, sans que le jeune homme fît un mouvement.

— Quelle horreur ! dis-je posément.

Je paraissais étonnamment calme, tandis que mon cœur battait à se rompre.

— Comment a-t-il pu ? continuai-je de la même voix tranquille.

Ma mère haussa les épaules d’un geste qui signifiait : Comment expliquer ces choses ?

Elle se dirigea vers la porte.

— Je veux lui parler ! m’écriai-je soudain avec véhémence.

— À quoi bon ? on ne peut discuter avec lui. Ce soir, peut-être.

— Évariste ! appelai-je sans écouter ma mère.