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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/347

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Indépendamment de leur mission particulière, les torpilleurs peuvent, dans un grand nombre de cas, jouer auprès d’une escadre le rôle que remplit la cavalerie légère dans une armée. Leur vitesse leur permet de se lancer en éclaireurs, et leur faible tirant d’eau de faire des reconnaissances le long des côtes.

Quand il s’agit de faire sauter un navire ennemi, il importe, avant tout, de s’approcher sans être vu ni entendu ; ce sera donc pendant la nuit qu’auront lieu les attaques. Les cuirassés, il est vrai, ont de puissants fanaux électriques, avec lesquels ils explorent les ténèbres de l’horizon, mais l’expérience a démontré que ces fanaux, tels qu’on les emploie généralement, ne portent guère à plus de quatre kilomètres, et que, même à cette distance, ils ne permettent d’apercevoir que les objets de couleur claire. C’est pour cela que le torpilleur est entièrement peint en noir ou en gris foncé. Les hommes eux-mêmes ont les mains noircies, et le visage couvert d’un voile, qui leur donne l’aspect étrange et sinistre à la fois qu’on remarque dans notre dessin (fig. 284).

Extérieurement, le torpilleur présente, sur toute sa longueur, une surface convexe, comme un dos de tortue. Un étroit passage règne des deux côtés de cette sorte de rouf bombé, sur lequel ne font saillie que la cheminée, la guérite de l’homme de barre et la manche à vent, sorte d’entonnoir en tôle, où le ventilateur aspire l’air, qu’il refoule dans la chaufferie.

Intérieurement, la majeure partie de l’espace disponible est occupée par l’appareil moteur. La machine à vapeur, qui est, comme il est dit plus haut, du système compound, se compose de deux cylindres, avec pompes indépendantes pour le condenseur ; elle imprime à l’arbre de l’hélice une vitesse de près de 380 tours par minute. La chaudière est du type de locomotive. Pour lui faire produire la quantité de vapeur nécessaire à la marche à toute vitesse, on a recours, avons-nous dit plus haut, au tirage forcé : toute la chambre de chauffe forme un compartiment entièrement fermé, dans lequel un ventilateur, mû par une petite machine à vapeur spéciale, comprime l’air puisé au dehors par la manche à vent. Cet air, ne trouvant pas d’autre issue, s’engouffre sous la grille du foyer, en donnant au feu une activité extraordinaire.

C’est un curieux spectacle que celui de la chaufferie en pleine marche. À chaque instant, un des chauffeurs ouvre la porte du foyer, y jette à la hâte une pelletée de charbon, et la referme vivement ; car l’afflux de l’air froid sur les tubes ferait baisser la pression. Par la porte ainsi brusquement ouverte, le foyer, blanc d’incandescence, projette une lueur éclatante sur les visages des chauffeurs, tandis que le ronflement du ventilateur complète l’impression saisissante de cet enfer en miniature ; enfer très supportable, d’ailleurs. Grâce à l’air frais qui y est constamment refoulé, la chambre de chauffe d’un torpilleur est, en effet, d’un séjour bien moins pénible que la chaufferie de la plupart des grands navires à vapeur et des paquebots. Toutefois, il a fallu prendre des dispositions spéciales pour éviter les dangers auxquels sont exposés les hommes enfermés dans cet étroit espace. Qu’un tube de niveau d’eau vienne à casser, qu’une fuite subite se déclare, et ceux-ci seraient brûlés vifs, si des appareils de fermeture automatiques n’avaient rendu à peu près impossibles les accidents de ce genre, qui étaient assez fréquents autrefois.

La chambre du capitaine et le logement des mécaniciens sont à l’arrière de la machine ; le poste de l’équipage est à l’avant, mais chacun d’eux n’a guère que trois mètres de long, sur autant de large, et l’on peut à peine s’y tenir debout.

C’est là le défaut capital, qui rend les