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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/639

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Becquerel père voulut bien l’écouter poliment et avec résignation. Quand il eut fini de parler, il le regarda, avec une nuance de compassion, et lui dit :

« J’ai entendu, un peu comme tout le monde, parler de votre affaire. Mais, au préalable, je me permettrai de vous poser, dans votre intérêt, cette question : Monsieur Scott, êtes-vous riche ?

— Hélas, non, répondit Léon Scott ; cette recherche est en voie d’épuiser mes dernières réserves.

— Eh bien, c’est fâcheux, c’est très fâcheux pour vous. Il vous faudrait un rapport académique, pour frapper, au ministère de l’instruction publique, à la porte du cabinet de M. Servaux, sous-chef de division, chargé de la répartition des encouragements aux savants, Une commission a été nommée, n’est-ce pas, à l’Académie des sciences, pour l’examen de votre mémoire ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, elle ne se réunira jamais, ou je me tromperais fort. Il vous faudra dépenser dix mille francs et cinq années de travail pour réunir les matériaux et faire la rédaction d’un mémoire conforme au programme qui vous sera imposé. Si vous arrivez jusqu’au bout sans être découragé, vous obtiendrez peut-être, à grand’ peine, un encouragement de deux mille francs. Comprenez cela. On nomme à l’Académie de trois à six commissions, tous les lundis. Combien en voyez-vous qui se réunissent ? Combien présentent un rapport ? Vous devez connaître tout cela, vous qui travaillez, depuis l’âge de quinze ans, dites-vous, dans des imprimeries scientifiques. Chez nous, il y a les anciens qui mettent en ordre leurs travaux antérieurs, ou qui se reposent sur leurs lauriers ; c’est trop juste, n’est-ce pas ? et vous en feriez autant à leur place. Il y a les jeunes, tels que moi, par exemple, mais nous avons, comme vous, notre rôti sur le feu. Nous ne pouvons le quitter, sans qu’il brûle, pour aller voir fonctionner votre appareil, pour suivre vos expériences. Et d’abord, je ne fais pas partie de vos commissaires ; il me faudrait laisser en souffrance les recherches délicates, coûteuses, que vous savez, et dont j’attends de beaux résultats. »

Et comme Léon Scott poussait un soupir de tristesse.

« Et puis, reprit le professeur, il y a une chose qui m’effraye pour vous, et que vos membranes ne vous ont pas dit : Les questions ont leur heure ! Quand nous naviguons dans l’archipel scientifique, nous avons soin de choisir les questions propres à captiver l’attention. Même en matière de science, il faut être de son temps. Votre affaire est, au fond, de l’acoustique. Mauvaise chance pour vous ! Les ingénieurs, les médecins, les musiciens, ont horreur de l’acoustique. À l’exception de ceux qui jouent, du violon, ces derniers ne sont pas bien sûrs que la vibration des corps existe. Qui est-ce qui travaille l’acoustique, chez nous ? Personne. On revoit ses notes avant de commencer son cours d’acoustique. Ah ! si Savart n’était pas mort, vous eussiez trouvé quelqu’un à qui parler. Votre machine l’eût empoigné, à la condition toutefois qu’elle ne s’avisât point de contredire un seul passage de ses mémoires sur des questions d’acoustique, mémoires au nombre de deux cents. Mais, je vous le répète, l’acoustique est tombée en catalepsie, depuis Savart, et vous ne prétendez pas sans doute la galvaniser. Si vous nous parliez de la lumière, de l’électricité, à la bonne heure, voilà les questions à l’ordre du jour.

— Alors, monsieur, vous me conseillez d’abandonner la partie ?

— Non pas précisément. Cherchez, pour vous amuser, comme distraction, à écrire la parole à vos moments perdus. Ce sera dur, mais très intéressant. Si l’Allemagne ne se met pas sur la piste, vous avez le