Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les entendait confusément ; il se porta vers l’autre coin de la cheminée, où Rosanette et Delmar causaient ensemble.

Le cabotin avait une mine vulgaire, faite comme les décors de théâtre pour être contemplée à distance, des mains épaisses, de grands pieds, une mâchoire lourde ; et il dénigrait les acteurs les plus illustres, traitait de haut les poètes, disait : « mon organe, mon physique, mes moyens », en émaillant son discours de mots peu intelligibles pour lui-même, et qu’il affectionnait, tels que « morbidezza, analogue et homogénéité ».

Rosanette l’écoutait avec de petits mouvements de tête approbatifs. On voyait l’admiration s’épanouir sous le fard de ses joues, et quelque chose d’humide passait comme un voile sur ses yeux clairs, d’une indéfinissable couleur. Comment un pareil homme pouvait-il la charmer ? Frédéric s’excitait intérieurement à le mépriser encore plus, pour bannir, peut-être, l’espèce d’envie qu’il lui portait.

Mlle Vatnaz était maintenant avec Arnoux ; et, tout en riant très haut, de temps à autre, elle jetait un coup d’œil sur son amie, que M. Oudry ne perdait pas de vue.

Puis Arnoux et la Vatnaz disparurent ; le bonhomme vint parler bas à Rosanette.

— Eh bien, oui, c’est convenu ! Laissez-moi tranquille.

Et elle pria Frédéric d’aller voir dans la cuisine si M. Arnoux n’y était pas.

Un bataillon de verres à moitié pleins couvrait le plancher ; et les casseroles, les marmites, la