Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à barbe naissante, tous paraissaient s’ennuyer ; quelques dandys, d’un air maussade, se balançaient sur leurs talons. Les têtes grises, les perruques étaient nombreuses ; de place en place, un crâne chauve luisait ; et les visages, ou empourprés ou très blêmes, laissaient voir dans leur flétrissure la trace d’immenses fatigues, les gens qu’il y avait là appartenant à la politique ou aux affaires. M. Dambreuse avait aussi invité plusieurs savants, des magistrats, deux ou trois médecins illustres, et il repoussait avec d’humbles attitudes les éloges qu’on lui faisait sur sa soirée et les allusions à sa richesse.

Partout, une valetaille à larges galons d’or circulait. Les grandes torchères, comme des bouquets de feu, s’épanouissaient sur les tentures ; elles se répétaient dans les glaces ; et, au fond de la salle à manger, que tapissait un treillage de jasmin, le buffet ressemblait à un maître-autel de cathédrale ou à une exposition d’orfèvrerie, tant il y avait de plats, de cloches, de couverts et de cuillers en argent et en vermeil, au milieu des cristaux à facettes qui entrecroisaient, par-dessus les viandes, des lueurs irisées. Les trois autres salons regorgeaient d’objets d’art : paysages de maîtres contre les murs, ivoires et porcelaines au bord des tables, chinoiseries sur les consoles ; des paravents de laque se développaient devant les fenêtres, des touffes de camélias montaient dans les cheminées ; et une musique légère vibrait, au loin, comme un bourdonnement d’abeilles.

Les quadrilles n’étaient pas nombreux, et les danseurs, à la manière nonchalante dont ils traînaient leurs escarpins, semblaient s’acquitter d’un