Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/308

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Le regard dont elle accompagna cette phrase signifiait : « C’est un homme riche, celui-là, écoute-le ! »

Cependant, la porte s’ouvrait à chaque minute, les garçons glapissaient, et, sur un infernal piano, dans le cabinet à côté, quelqu’un tapait une valse. Puis les courses amenèrent à parler d’équitation et des deux systèmes rivaux. Cisy défendait Baucher, Frédéric le comte d’Aure, quand Rosanette haussa les épaules.

— Assez, mon Dieu ! il s’y connaît mieux que toi, va !

Elle mordait dans une grenade, le coude posé sur la table ; les bougies du candélabre devant elle tremblaient au vent ; cette lumière blanche pénétrait sa peau de tons nacrés, mettait du rose à ses paupières, faisait briller les globes de ses yeux ; la rougeur du fruit se confondait avec la pourpre de ses lèvres, ses narines minces battaient ; et toute sa personne avait quelque chose d’insolent, d’ivre et de noyé qui exaspérait Frédéric, et pourtant lui jetait au cœur des désirs fous.

Puis elle demanda, d’une voix calme, à qui appartenait ce grand landau avec une livrée marron.

— À la comtesse Dambreuse, répliqua Cisy.

— Ils sont très riches, n’est-ce pas ?

— Oh ! très riches ! bien que Mme Dambreuse, qui est, tout simplement, une demoiselle Boutron, la fille d’un préfet, ait une fortune médiocre.

Son mari, au contraire, devait recueillir plusieurs héritages, Cisy les énuméra ; fréquentant les Dambreuse, il savait leur histoire.