Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/338

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corps, et sa tête rebondissait à chaque marche tout le long de l’escalier. Quelle abomination ! les misérables !

Des sanglots de colère l’étouffaient, et il tournait dans la chambre, comme pris d’une grande angoisse.

— Il faudrait faire quelque chose, cependant ! Voyons ! moi, je ne sais pas ! Si nous tâchions de le délivrer, hein ? Pendant qu’on le mènera au Luxembourg, on peut se jeter sur l’escorte dans le couloir ! Une douzaine d’hommes déterminés, ça passe partout.

Il y avait tant de flamme dans ses yeux, que Frédéric en tressaillit.

Sénécal lui apparut plus grand qu’il ne croyait. Il se rappela ses souffrances, sa vie austère ; sans avoir pour lui l’enthousiasme de Dussardier, il éprouvait néanmoins cette admiration qu’inspire tout homme se sacrifiant à une idée. Il se disait que, s’il l’eût secouru, Sénécal n’en serait pas là ; et les deux amis cherchèrent laborieusement quelque combinaison pour le sauver.

Il leur fut impossible de parvenir jusqu’à lui.

Frédéric s’enquérait de son sort dans les journaux, et pendant trois semaines fréquenta les cabinets de lecture.

Un jour, plusieurs numéros du Flambard lui tombèrent sous la main. L’article de fond, invariablement, était consacré à démolir un homme illustre. Venaient ensuite les nouvelles du monde, les cancans. Puis, on blaguait l’Odéon, Carpentras, la pisciculture, et les condamnés à mort quand il y en avait. La disparition d’un paquebot fournit matière à plaisanteries pendant un an.