Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/102

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puis, dans l’oreille : « Vous n’êtes guère malin, vous ! »

Rien n’était plaisant comme la salle à manger, peinte d’une couleur vert d’eau. À l’un des bouts, une nymphe de pierre trempait son orteil dans un bassin en forme de coquille. Par les fenêtres ouvertes, on apercevait tout le jardin avec la longue pelouse que flanquait un vieux pin d’Écosse, aux trois quarts dépouillé ; des massifs de fleurs la bombaient inégalement ; et, au-delà du fleuve, se développaient, en large demi-cercle, le bois de Boulogne, Neuilly, Sèvres, Meudon. Devant la grille, en face, un canot à la voile prenait des bordées.

On causa d’abord de cette vue que l’on avait, puis du paysage en général ; et les discussions commençaient quand Arnoux donna l’ordre à son domestique d’atteler l’américaine vers les neuf heures et demie. Une lettre de son caissier le rappelait.

— « Veux-tu que je m’en retourne avec toi ? », dit Mme Arnoux.

— « Mais certainement ! » et, en lui faisant un beau salut : « Vous savez bien, Madame, qu’on ne peut vivre sans vous ! »

Tous la complimentèrent d’avoir un si bon mari.

— « Ah ! c’est que je ne suis pas seule ! » répliqua-t-elle doucement, en montrant sa petite fille.

Puis, la conversation ayant repris sur la peinture, on parla d’un Ruysdaël, dont Arnoux espérait des sommes considérables, et Pellerin lui demanda s’il était vrai que le fameux Saül Mathias, de Londres, fût venu, le mois passé, lui en offrir vingt-trois mille francs.

— « Rien de plus vrai ! » et, se tournant vers Frédéric « C’est même le monsieur que je promenais l’autre jour à l’Alhambra, bien malgré moi, je vous assure, car ces Anglais ne sont pas drôles »

Frédéric, soupçonnant dans la lettre de Mlle Vatnaz quelque histoire de femme, avait admiré l’aisance du