Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/322

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homme de sa maison, un placeur de vins, un architecte et un monsieur employé dans les assurances. Regimbart n’avait pu venir. On le regretta.

Ils accueillirent Frédéric avec de grandes marques de sympathie, tous connaissant par Dussardier son langage chez M. Dambreuse. Sénécal se contenta de lui offrir la main, d’un air digne.

Il se tenait debout contre la cheminée. Les autres, assis et la pipe aux lèvres, l’écoutaient discourir sur le suffrage universel, d’où devait résulter le triomphe de la Démocratie, l’application des principes de l’Evangile. Du reste, le moment approchait ; les banquets réformistes se multipliaient dans les provinces ; le Piémont, Naples, la Toscane…

— « C’est vrai », dit Deslauriers, lui coupant net la parole, « ça ne peut pas durer plus longtemps ! » Et il se mit à faire un tableau de la situation.

Nous avions sacrifié la Hollande pour obtenir de l’Angleterre la reconnaissance de Louis-Philippe ; et cette fameuse alliance anglaise, elle était perdue, grâce aux mariages espagnols ! En Suisse, M. Guizot, à la remorque de l’Autrichien, soutenait les traités de 1815. La Prusse avec son Zollverein nous préparait des embarras. La question d’Orient restait pendante.

— « Ce n’est pas une raison parce que le grand-duc Constantin envoie des présents à M. d’Aumale Il pour se fier à la Russie. Quant à l’intérieur, jamais on n’a vu tant d’aveuglement, de bêtise ! Leur majorité même ne se tient plus Partout, enfin, c’est, selon le mot connu, rien ! rien ! rien Et, devant tant de hontes », poursuivit l’avocat en mettant ses poings sur ses hanches, « ils se déclarent satisfaits »

Cette allusion à un vote célèbre provoqua des applaudissements. Dussardier déboucha une bouteille de bière la mousse éclaboussa les rideaux, il n’y prit garde ; il chargeait les pipes, coupait la brioche, en offrait, était descendu plusieurs fois pour voir si le