Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Son mari, prodiguant les extravagances, entretenait une ouvrière de la manufacture, celle qu’on appelait la Bordelaise. Mme Arnoux l’apprit elle-même à Frédéric. Il voulait tirer de là un argument « puisqu’on la trahissait. »

— « Oh ! je ne m’en trouble guère ! » dit-elle.

Cette déclaration lui parut affermir complètement leur intimité. Arnoux s’en méfiait-il ?

— « Non ! pas maintenant ! »

Elle lui conta qu’un soir, il les avait laissés en tête-à-tête, puis était revenu, avait écouté derrière la porte, et, comme tous deux parlaient de choses indifférentes, il vivait, depuis ce temps-là, dans une entière sécurité :

— « Avec raison, n’est-ce pas ? » dit amèrement Frédéric.

— « Oui, sans doute »

Elle aurait fait mieux de ne pas risquer un pareil mot.

Un jour, elle ne se trouva point chez elle, à l’heure où il avait coutume d’y venir. Ce fut, pour lui, comme une trahison.

Il se fâcha ensuite de voir les fleurs qu’il apportait toujours plantées dans un verre d’eau.

— « Où voulez-vous donc qu’elles soient ? »

— « Oh ! pas là ! Du reste, elles y sont moins froidement que sur votre cœur. »

Quelque temps après, il lui reprocha d’avoir été la veille aux Italiens, sans le prévenir. D’autres l’avaient vue, admirée, aimée peut-être ; Frédéric s’attachait à ses soupçons uniquement pour la quereller, la tourmenter ; car il commençait à la haïr, et c’était bien le moins qu’elle eût une part de ses souffrances !

Une après-midi (vers le milieu de février), il la surprit fort émue. Eugène se plaignait de mal à la gorge. Le docteur avait dit pourtant que ce n’était rien, un gros rhume, la grippe. Frédéric fut étonné par l’air