Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/378

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que suffisamment averti, il avait manqué au rendez-vous, place du Panthéon.

— « Je jure qu’il était aux Tuileries ! » s’écria Dussardier.

— « Pouvez-vous jurer l’avoir vu au Panthéon ? » Dussardier baissa la tête. Frédéric se taisait ; ses amis scandalisés le regardaient avec inquiétude.

— « Au moins », reprit Sénécal, « connaissez-vous un patriote qui nous réponde de vos principes ? »

— « Moi ! » dit Dussardier.

— « Oh ! cela ne suffit pas ! un autre ! »

Frédéric se tourna vers Pellerin. L’artiste lui répondit par une abondance de gestes qui signifiait :

— « Ah ! mon cher, ils m’ont repoussé ! Diable ! que voulez-vous ! »

Alors, Frédéric poussa du coude Regimbart.

— « Oui ! c’est vrai ! il est temps ! j’y vais ! »

Et Regimbart enjamba l’estrade ; puis, montrant l’Espagnol qui l’avait suivi :

— « Permettez-moi, citoyens, de vous présenter un patriote de Barcelone. »

Le patriote fit un grand salut, roula comme un automate ses yeux d’argent, et, la main sur le cœur :

— « Ciudadanos ! mucho aprecio el honor que me dispensáis, y si grande es vuestra bondad mayor es vuestro atención. »

— « Je réclame la parole ! » cria Frédéric.

— « Desde que se proclamó la constitución de Cadiz, ese pacto fondamental de las libertades españolas, hasta la última revolución, nuestra patria cuenta numerosos y heroicos mártires. »

Frédéric encore une fois voulut se faire entendre :

— « Mais citoyens !… »

L’Espagnol continuait :

— « El martes próximo tendrá lugar en la iglesia de la Magdelena un servicio fúnebre. »

— « C’est absurde à la fin ! personne ne comprend ! »