Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/133

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de l’écume. Les trois voiles bien gonflées arrondissaient leur courbe douce. La mâture criait, l’air sifflait dans les poulies. Penché sur la proue, le nez dans la brise, un mousse chantait ; nous n’entendions pas les paroles, mais c’était un air lent, tranquille et monotone qui se répétait toujours, ni plus haut ni plus bas, et qui prolongeait en mourant des modulations traînantes.

Cela s’en allait doux et triste sur la mer, comme dans une âme un souvenir confus qui passe.

Le cheval se tenait debout, du mieux qu’il pouvait, sur ses quatre pieds et mordillait sa botte de foin. Les matelots, les bras croisés, souriaient en regardant dans les voiles.

[1]À Quiberon, nous revîmes M. Rohan, sa rubiconde et haute épouse et son jeu du « trou madame » qui remplace dans son établissement le billard obligé et qui paraît être une des curiosités du pays. Nos deux voyageurs y étaient forts, et quand après avoir déjeuné avec eux nous partîmes pour Plouharnel, nous les laissâmes acharnés mieux que jamais en train de jouer le café avec une de leurs connaissances de l’endroit. Tous deux ils voyageaient dans les draps. Le premier était un assez beau mâle de quelque vingt ans, blond, haut en couleur, ayant poitrine bombée, casquette sur l’oreille, talons hauts et gilet jusqu’aux genoux ; il nous représentait l’incarnation du Vau-

  1. Inédit, pages 133 à 136.