Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/15

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trois cents ans, en montaient les marches. Nous avons vu, au rez-de-chaussée, la salle où se tinrent les États de 1588. Un gentilhomme gascon y assista, envoyé par la noblesse de Bordeaux ; il dut, j’imagine, prendre peu de part aux discussions qui retentissaient sous ces voûtes de bois. Assis à l’écart, dans son élégant costume noir, et jouant avec une badine qu’il portait toujours, sans doute qu’il remâchait en lui-même quelque passage de Salluste ou quelque vers de Lucain que les circonstances présentes lui remettaient en mémoire. Sans passions au milieu de toutes ces passions hurlantes, sans croyances à côté de tant de convictions violentes, il était là comme le symbole de ce qui reste à côté de ce qui passe : il s’appelait Michel de Montaigne.

J’ai vu en dehors du château, sur une plate-forme d’où l’on découvre toute la ville et la Loire bordée de peupliers et la campagne à l’entour, remontant au ciel par de lentes perspectives insensibles, une tourelle qui sert à mettre les poudres de la garnison : c’était là qu’habitait Ruggieri, l’astrologue d’Henri III. On avait tendu du linge sur l’esplanade, les cordes où séchaient les chemises du concierge la zigzaguaient dans tous les sens ; la sentinelle qui veillait à la porte de la poudrière avait posé son fusil dessus, elle l’y balançait en équilibre et jouait à faire claquer le ressort de batterie en attendant qu’on la vînt relever de sa faction.

D’illustres hôtes ont dormi sous ces murs :