Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortir de dessous le toit d’ardoises d’un bâtiment carré des gémissements et des bêlements plaintifs. C’était l’abattoir.

Sur le seuil, un grand chien lapait dans une mare de sang et tirait lentement du bout des dents le cordon bleu des intestins d’un bœuf qu’on venait de lui jeter. La porte des cabines était ouverte. Les bouchers besognaient dedans, les bras retroussés. Suspendu, la tête en bas et les pieds passés par les tendons dans un bâton tombant du plafond, un bœuf, soufflé et gonflé comme une outre, avait la peau du ventre fendue en deux lambeaux. On voyait s’écarter doucement avec elle la couche de graisse qui la doublait et successivement apparaître dans l’intérieur, au tranchant du couteau, un tas de choses vertes, rouges et noires, qui avaient des couleurs superbes. Les entrailles fumaient ; la vie s’en échappait dans une bouffée tiède et nauséabonde. Près de là, un veau couché par terre fixait sur la rigole de sang ses gros yeux ronds épouvantés, et tremblait convulsivement malgré les liens qui lui serraient les pattes. Ses flancs battaient, ses narines s’ouvraient. Les autres loges étaient remplies de râles prolongés, de bêlements chevrotants, de beuglements rauques. On distinguait la voix de ceux qu’on tuait, celle de ceux qui se mouraient, celle de ceux qui allaient mourir. Il y avait des cris singuliers, des intonations d’une détresse profonde qui semblaient dire des mots qu’on aurait presque pu comprendre. En ce moment, j’ai eu