Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/427

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pas plus d’habitations, car le paysan cultive encore son champ comme l’Arabe : au printemps il descend pour l’ensemencer, à l’automne il revient pour faire la moisson ; hors de là il se tient chez lui sans sortir deux fors par an de son rocher où il vit sans rien faire, paresseux, sobre et chaste. Vico est la patrie du fameux Théodore dont le nom retentit encore dans toute la Corse avec un éclat héroïque ; il a tenu douze ans le maquis, et n’a été tué qu’en trahison. C’était un simple paysan du pays, que tous aimaient et que tous aiment encore. Ce bandit-là était un noble cœur, un héros. Il venait d’être pris par la conscription et il restait chez lui attendant qu’on l’appelât ; le brigadier du lieu, son compère, lui avait promis de l’avertir à temps, quand un matin la force armée tombe chez lui et l’arrache de sa cabane au nom du roi. C’était le compère qui dirigeait sa petite compagnie et qui, pour se faire bien voir sans doute, voulut le mener rondement et prouver son zèle pour l’État en faisant le lâche et le traître. Dans la crainte qu’il ne lui échappât il lui mit les menottes aux mains en lui disant : « Compère, tu ne m’échapperas pas », et tout le monde vous dira encore que les poignets de Théodore en étaient écorchés. Il l’amena ainsi à Ajaccio où il fut jugé et condamné aux galères. Mais après la justice des juges, ce fut le tour de celle du bandit. Il s’échappa donc le soir même et alla coucher au maquis ; le dimanche suivant, au sortir de la messe, il se trouva sur la place, tout le monde l’entourait et