Page:Flaubert - Salammbô.djvu/133

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Et de ses lèvres violacées s’échappait une haleine plus nauséabonde que l’exhalaison d’un cadavre. Deux charbons semblaient brûler à la place de ses yeux, qui n’avaient plus de sourcils ; un amas de peau rugueuse lui pendait sur le front ; ses deux oreilles, en s’écartant de sa tête, commençaient à grandir et les rides profondes qui formaient des demi-cercles autour de ses narines, lui donnaient un aspect étrange et effrayant, l’air d’une bête farouche. Sa voix dénaturée ressemblait à un rugissement ; il dit :

— Tu as peut-être raison, Demonades ? En effet, voilà bien des ulcères qui se sont fermés. Je me sens robuste. Tiens ! regarde comme je mange !

Et moins par gourmandise que par ostentation, et pour se prouver à lui-même qu’il se portait bien, il entamait les farces de fromage et d’origan, les poissons désossés, les courges, les huîtres, avec des œufs, des raiforts, des truffes et des brochettes de petits oiseaux. Tout en regardant les prisonniers, il se délectait dans l’imagination de leur supplice. Cependant il se rappelait Sicca, et la rage de toutes ses douleurs s’exhalait en injures contre ces trois hommes.

— Ah ! traîtres ! ah ! misérables ! infâmes ! maudits ! Et vous m’outragiez, moi ! moi ! le Suffète ! Leurs services, le prix de leur sang, comme ils disent ! Ah ! oui ! leur sang ! leur sang !

Puis, se parlant à lui-même :

— Tous périront ! on n’en vendra pas un seul ! Il vaudrait mieux les conduire à Carthage ! on me verrait… mais je n’ai pas, sans doute, emporté assez de chaînes ? Écris : Envoyez-moi… Combien sont-ils ? qu’on aille le demander à Mu-