Page:Flaubert - Salammbô.djvu/193

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buvait des boissons fraîches dans des coupes d’argent, jouait au cottabe, laissait croître sa chevelure et conduisait le siège avec lenteur. Du reste il avait pratiqué des intelligences dans la ville et ne voulait point partir, sûr qu’avant peu de jours elle s’ouvrirait.

Narr’Havas, qui vagabondait entre les trois armées, se trouvait alors près de lui. Il appuya son opinion, et même il blâma le Libyen de vouloir, par un excès de courage, abandonner leur entreprise.

— Va-t’en, si tu as peur ! s’écria Mâtho ; tu nous avais promis de la poix, du soufre, des éléphants, des fantassins, des chevaux ! où sont-ils ?

Narr’Havas lui rappela qu’il avait exterminé les dernières cohortes d’Hannon ; quant aux éléphants, on les chassait dans les bois, il armait les fantassins, les chevaux étaient en marche ; et le Numide, en caressant la plume d’autruche qui lui retombait sur l’épaule, roulait ses yeux comme une femme et souriait d’une manière irritante. Mâtho, devant lui, ne trouvait rien à répondre.

Un homme que l’on ne connaissait pas entra, mouillé de sueur, effaré, les pieds saignants, la ceinture dénouée ; sa respiration secouait ses flancs maigres à les faire éclater, et tout en parlant un dialecte inintelligible, il ouvrait de grands yeux, comme s’il eût raconté quelque bataille. Le roi bondit dehors et appela ses cavaliers.

Ils se rangèrent dans la plaine, en formant un cercle devant lui. Narr’Havas, à cheval, baissait la tête et se mordait les lèvres. Enfin il sépara ses hommes en deux moitiés, dit à la première de l’attendre ; puis d’un geste impérieux enlevant