Page:Flaubert - Salammbô.djvu/407

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entre des flaques d’huile rose, décrivait en se mordant la queue un grand cercle noir. Il y avait au milieu du cercle une colonne de cuivre supportant un œuf de cristal ; comme le soleil frappait dessus, des rayons de tous les côtés en partaient.

Derrière Salammbô se développaient les prêtres de Tanit en robe de lin ; les Anciens, à sa droite, formaient, avec leurs tiares, une grande ligne d’or, et, de l’autre côté, les Riches, avec leurs sceptres d’émeraude, une grande ligne verte, tandis que, tout au fond, où étaient rangés les prêtres de Moloch, on aurait dit, à cause de leurs manteaux, une muraille de pourpre. Les autres collèges occupaient les terrasses inférieures. La multitude encombrait les rues. Elle remontait sur les maisons et allait, par longues files, jusqu’au haut de l’Acropole. Ayant ainsi le peuple à ses pieds, le firmament sur la tête, autour d’elle l’immensité de la mer, le golfe, les montagnes et les perspectives des provinces, Salammbô resplendissante se confondait avec Tanit et semblait le génie même de Carthage, son âme corporifiée.

Le festin devait durer toute la nuit, et des lampadaires à plusieurs branches étaient plantés, comme des arbres, sur les tapis de laine peinte qui enveloppaient les tables basses. De grandes buires d’électrum, des amphores de verre bleu, des cuillers d’écaille et des petits pains ronds se pressaient dans la double série des assiettes à bordures de perles ; des grappes de raisin avec leurs feuilles étaient enroulées comme des thyrses à des ceps d’ivoire ; des blocs de neige se fondaient sur