Page:Flaubert - Salammbô.djvu/7

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s’enfonçaient la tête dans les amphores, puis restaient à boire sans s’interrompre comme des dromadaires altérés. Un Lusitanien, de taille gigantesque, portant un homme au bout de chaque bras, parcourait les tables tout en crachant du feu par les narines. Des Lacédémoniens, qui n’avaient point ôté leurs cuirasses, sautaient d’un pas lourd. Quelques-uns s’avançaient comme des femmes en faisant des gestes obscènes ; d’autres se mettaient nus pour combattre, au milieu des coupes, à la façon des gladiateurs ; et une compagnie de Grecs dansait autour d’un vase où l’on voyait des nymphes, pendant qu’un nègre tapait avec un os de bœuf sur un bouclier d’airain.

Tout à coup, ils entendirent un chant plaintif, un chant fort et doux, qui s’abaissait et remontait dans les airs comme le battement d’ailes d’un oiseau blessé.

C’était la voix des esclaves dans l’ergastule. Des soldats, pour les délivrer, se levèrent d’un bond et disparurent.

Ils revinrent, chassant au milieu des cris, dans la poussière, une vingtaine d’hommes que l’on distinguait à leur visage plus pâle. Un petit bonnet de forme conique, en feutre noir, couvrait leur tête rasée ; ils portaient tous des sandales de bois et faisaient un bruit de ferrailles comme des chariots en marche.

Ils arrivèrent dans l’avenue des cyprès, où ils se perdirent parmi la foule, qui les interrogeait. L’un d’eux était resté à l’écart, debout. À travers les déchirures de sa tunique on apercevait ses épaules rayées par de longues balafres. Baissant le menton, il regardait autour de lui avec méfiance