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Page:Fontanes - Œuvres, tome 1.djvu/100

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M. DE FONTANES

lui dit en l’accueillant d’un air tout aimable : « Vous êtes un peu vif, mais vous n’êtes pas un méchant homme. » — Il se plaisait beaucoup à la conversation de Fontanes, et il lui avait donné les petites entrées. Trois fois par semaine, le soir, Fontanes allait causer aux Tuileries. Au retour dans sa famille, quand il racontait la soirée de tout à l’heure, sa conversation si nette, si pleine de verve, s’animait encore d’un plus vif éclat[1]. Il ne pouvait s’empêcher pourtant de trouver, à travers son admiration, que, dans le potentat de génie, perçait toujours au fond le soldat qui trône ; et il en revenait par comparaison dans son cœur à ses rêves de Louis XIV et du bon Henri, au souvenir de ces vieux rois qu’il disait formés d’un sang généreux et doux.

Ce que nous tachons là de saisir et d’exprimer dans son mélange en pur esprit de vérité, ce que Napoléon tout le premier sentait et rendait si parfaitement lorsqu’il écrivait de Fontanes à M. de Bassano : « Il veut de la royauté, mais pas la nôtre : il aime Louis XIV et ne fait que consentir à nous, » la suite des vers qu’on possède aujourd’hui le dit et l’achève mieux que nous ne pourrions. Car le haut dignitaire de l’empire ne cessa jamais d’être poëte, et, comme ce berger à la cour, que la fable a chanté, et à qui il se compare, il eut toujours sa musette cachée pour confidente. Eh bien ! qu’on lise, qu’on se laisse faire ! l’explication, l’excuse naturelle, naitra. Dans ses vers, si les griefs exprimés contre Bonaparte restè-

  1. L’Empereur, dans ces libres entretiens, aimait fort à parler littérature, théâtre, et il attaquait volontiers Fontanes sur ces points. Un jour qu’on vantait Talma dans un rôle : « Qu’en pense Fontanes ? dit l’Empereur ; il est pour les anciens, lui ! » — « Sire, repartit le spirituel contradicteur, Alexandre, Annibal et César ont été remplacés, mais Lekain ne l’est pas. » Cette sévérité pour Talma est caractéristique chez Fontanes, et tient à l’ensemble de ses jugements ; il ne voulait pas qu’on brisât trop le vers tragique, non plus que les allées des jardins. Il avait vu Lekain dans sa première jeunesse, et en avait gardé une impression incomparable. Il convenait pourtant que, dans l’Oreste et l’Œdipe de Voltaire. Talma était supérieur à Lekain ; ce qui, de sa part, devenait le suprême aveu. Faut-il ajouter qu’il en voulait à Talma d’être l’objet de je ne sais quelle phrase de madame de Staël, où