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Page:Fontanes - Œuvres, tome 1.djvu/541

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ŒUVRES DE FONTANES.

Écartait loin de moi les vices, le malheur,
Les dégoûts, et l’ennui, pire que la douleur.
Alors indépendante, et même un peu sauvage.
Ma muse ne cherchait qu’un solitaire ombrage,
Ou venait, quand Vesper a noirci le coteau,
S’asseoir sur les débris des tours d’un vieux château
Ou rêvait au milieu de ces tombes champêtres.
Qui du hameau voisin rentament les ancêtres.
Quelquefois, plus riante, elle ornait un verger.
Un jour, dans les Cieux même elle osa voyager.
Les Alpes, le Jura, l’appelaient sur leurs cimes ;
Elle aimait à descendre au fond de leurs abimes,
Dans ces autres sacrés d’où sort la voix des Dieux,
D’où montaient jusqu’à moi ces sons mystérieux,
Ces accents inspirés, que, dans un saint délire,
L’enthousiasme seul peut entendre et redire.
Tels étaient mes plaisirs : tels ont été les tiens,
Et nos illusions nous donnaient tous les biens.
Malheur au vil mortel, malheur à l’amant même
Qui méconnaît des vers la puissance suprême !
Ce grand art, dont l’éclat souvent m’enorgueillit,
M’embellissait l’amour par qui tout s’embellit.

 Que n’es-tu près de moi ? De si fraiches retraites,
Aussi bien qu’aux amants, conviennent aux poëtes,
Et l’ombre, protégeant les lieux d’où je t’écris,
Comme pour t’inviter, t’offre tous ses abris.
Tu chantas le printemps : ses beautés m’environnent.
Du front de cent coteaux que les vignes couronnent,
Mon regard, abaissé sur d’immenses moissons,