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Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/320

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plus exceptionnels dont un cadavre puisse être l’objet. On se conforme donc à ce nouveau programme, car on ne saurait aller contre les volontés du ciel.

À ce moment se pose la question de l’ensevelissement et de la mise en bière. Il n’est plus désormais possible de laisser au Bouddha mort son costume monastique, puisqu’il doit être traité comme un Roi des Rois. Par une heureuse précaution, les Mallas se sont déjà munis de cinq cents costumes laïques, chacun composé de deux pièces d’étoffe[1] : il ne leur reste plus qu’à faire rassembler par leurs domestiques tout ce qu’il y a de coton cardé dans Kouçinagara : « Et alors ils enveloppèrent le corps du Bienheureux dans une pièce d’étoffe neuve, puis dans une couche de coton cardé, puis dans une pièce d’étoffe neuve et ainsi de suite jusqu’à épuisement des cinq cents paires d’étoffes[2] ; puis ils le déposèrent dans une auge à huile et recouvrirent celle-ci avec une seconde auge ; et, ayant fait un bûcher composé tout entier de matières odoriférantes, ils déposèrent dessus le corps du Bienheureux. » Comment se sont-ils procuré assez de bois de senteur, santal et autres, pour édifier un bûcher qu’on imagine de plus en plus gigantesque, cela reste un secret. On ne voit pas non plus très bien l’utilité de cette double auge à huile puisqu’il n’est pas question de conserver plus longtemps le corps : mais peut-être a-t-on pensé que ce cercueil de fer garantirait mieux les saintes reliques de tout mélange avec les cendres du bûcher. Ne demandez pas d’ailleurs comment ils ont pu introduire dans ce sarcophage, qui plus tard deviendra d’or, l’énorme momie gonflée de ses mille linceuls doublés de coton ; mais si vous voulez savoir quelle forme on prêtait à ce coffre de métal vous n’avez qu’à vous reporter aux bas-reliefs gréco-bouddhiques[3].

Tout est donc enfin prêt pour la crémation. Quatre princes Mallas se mettent également en tenue appropriée à la cérémonie et s’approchent avec des torches pour mettre le feu au bûcher ; mais la flamme se refuse à jaillir. C’est qu’il importe à la légende — à laquelle nous avons reconnu l’art des préparations théâtrales — de donner à présent la vedette à celui qui va devenir, comme on l’appelle communément, le premier « patriarche » de l’église bouddhique. Que Mahâkaçyapa n’eût pas assisté aux derniers moments du Maître, le fait était constant ; mais qu’il eût été complètement absent des scènes du Parinirvâna, la chose était promptement devenue inconcevable : « Je suis le fils aîné du Bouddha (lui fait dire un texte tardif) ; je dois procéder à sa crémation. » Apparemment il suivait la même route que son Maître, à huit jours d’intervalle, en compagnie d’une autre escouade de moines : car il fallait bien à la fois éviter l’encombrement des lieux d’étape et donner quelque répit à l’hospitalière charité des villages de la route. Il se trouvait alors avec ses compagnons, à mi-chemin entre Pâvâ et Kouçinagara, et, lui aussi, s’était assis au pied d’un arbre pour se reposer un instant. Passe en sens in-

  1. Cf. sur ce point AgbG II p. 17-8.
  2. Nous entendons les pañcehi yugasatekhi comme rappelant les pañca-dussa-yuga-satâni dont il vient d’être question (éd. Childers p. 254 et 256). Rhys Davids préfère ne compter que « cinq cents fois la double enveloppe d’étoffe et de coton » : on ne voit pas ce que la vraisemblance y gagne.
  3. AgbG fig. 285. — Nous passons ici sous silence l’histoire tardive de l’intervention de Mâyâ à laquelle il a été fait allusion supra p. 68.