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Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/324

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loge. Je poussai la porte aussi doucement que possible. Madeleine eut le sentiment que c’était moi, car elle affecta de ne pas même tourner la tête. Elle resta tout entière occupée de la musique, les yeux attachés sur la scène. Ce fut seulement au premier repos des chanteurs que je pus m’approcher d’elle et la forcer à recevoir mon salut.

« Je viens vous demander une place dans votre loge, lui dis-je en la mettant de moitié dans une fourberie, à moins que cette place ne soit réservée à M. de Nièvres.

— M. de Nièvres ne viendra pas, » répondit Madeleine en se retournant du côté de la salle.

On donnait un immortel chef-d’œuvre. La salle était splendide. Des chanteurs incomparables, disparus depuis, y causaient des transports de fête. L’auditoire éclatait en applaudissements frénétiques. Cette merveilleuse électricité de la musique passionnée remuait, comme avec la main, cette masse d’esprits lourds ou de cœurs distraits, et communiquait au plus insensible des spectateurs des airs d’inspiré. Un ténor, dont le nom seul était un prestige, vint tout près de la rampe, à deux pas de nous. Il s’y tint un moment dans l’attitude recueillie et un peu gauche d’un rossignol qui va chanter. Il était laid, gras, mal costumé et sans