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Page:Frondaie - L'Homme à l'Hispano - 1925.djvu/183

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l’homme à l’hispano

Toute une vieille douleur dictait sa réponse, mais Georges fit un pas vers lui et il lui parlait presque avec violence, comme pour s’accrocher à ce qu’il avait fait :

— Eh bien, moi pas. Non, moi pas. Je me suis enrichi pour ma vie entière. Jusqu’à mon dernier sou, j’ai tout dépensé pour m’enrichir. Où je serai dans six mois, un an, où et quoi, je l’ignore ? Ouvrier ? Pas même. Je ne sais pas travailler de mes mains… Enfin, où que je sois, quand je serai bien fatigué, bien seul, j’ouvrirai ma tête, mon cœur et je fouillerai, je fouillerai dedans. Vous me prédisez beaucoup de souffrance ?… Je sais. Je suis comme ces malheureux qui, dans un matin de printemps, font leur provision pour l’hiver…

Il marcha. Le jour avait baissé. Il tourna le commutateur. Montnormand le vit plus blême encore que tout à l’heure.

— Tu te détruis, dit-il, tu t’intoxiques. Tout est ton cerveau.

— Qu’est-ce qui n’est pas dans le cerveau ? répondit Dewalter. L’homme est fou. Comment, sachant ce que je savais, le sachant… condamné d’avance, comment expliquez-vous ceci : j’étais heureux ?

— C’est toute la vie, murmura le notaire en remuant maladroitement ses petits bras avec des gestes de pantin. Toute la vie !… Dix jours… dix ans… c’est la même chose ! Si on pensait toujours à la fin…