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Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/149

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À propos de sonnet (dit Javotte, qui jusques-là avoit esté muette), j’en ai sur moi un fort beau, qu’une partie de mon papa a laissé dans son estude en venant solliciter son procès. Pancrace la pria de le lire par complaisance, et pour la faire parler. Je vous prie (répondit-elle) de m’en dispenser : car il est si long, si long, si long, que ce seroit trop vous interrompre. Comment (lui dit Hyppolite) ! faut-il tant de temps pour lire quatorze vers ? Comment (respondit Javotte) ! il y en a plus de quatre cens ; et en mesme temps elle tira de sa poche un petit livret relié de papier marbré, contenant un poëme entier : c’estoit la metamorphose des yeux de Philis en astres43. La compagnie ne se put tenir de rire de cette naïfveté, surtout Hyppolite en éclatta ; sur quoi Javotte dit en rougissant : Hé quoi ! ne sont-ce pas là des vers ? du moins mon papa m’a dit que c’en estoit. Ouy sans doute (répondit Pancrace). Hé bien (repliqua Javotte), un sonnet, n’est ce pas aussi des vers ? Qu’y a-t-il donc tant à rire ? La risée fut plus forte qu’auparavant ; de sorte qu’Angelique, par civilité, rompit la conversation et se leva pour aller faire des excuses à Javotte et pour la tirer de cette confusion ; elle l’effaça


43. C’est la pièce la plus célèbre d’Habert de Cerizy, l’un des premiers de l’Académie françoise. Elle fut publiée en 1639, in-8. Elle eut un si long succès qu’en 1689 on en fit une traduction en vers latins, Oculi Phylidis in astra, etc., Paris, Muguet, 1689, in-12. — Ce madrigal, de près de 500 vers, n’étoit au reste qu’une imitation évidente du poème de Callimaque sur la Chevelure de Bérenice transformée en comète. L’abbé Goujet l’a justement remarqué dans son article sur Habert de Cerisy, Biblioth. franç., t. 14, p. 215.