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Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/190

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est qu’elle ait esté joüée une premiere, à la reserve neantmoins de l’avanture d’Alexis, qu’ils ne purent executer. Pancrace luy donna encore d’autres romans, qu’elle lût avec la mesme avidité, et à force d’estudier nuit et jour, elle profita tellement en peu de temps, qu’elle devint la plus grande causeuse et la plus coquette fille du quartier.

Le pere et la mere de Javotte s’apperceurent bientost du changement de sa vie, et s’estonnerent de voir combien elle avoit profité à hanter compagnie. Elle paroissoit mesme trop sçavante à leur gré ; ils se plaignoient déja qu’elle estoit gastée, et de peur de la laisser corrompre d’avantage, ils se resolurent de la marier dans le carnaval. Le seul embarras où ils se trouvoient estoit de bien balancer les deux partis qu’ils avoient en main. Ils avoient de l’engagement avec le premier, mais le second estoit, comme j’ay dit, sans comparaison plus avantageux. La mere ne pouvoit souffrir Nicodeme depuis l’avanture du miroir et du theorbe, et ne l’appeloit plus que Brise-tout ; le pere en estoit dégousté depuis l’opposition formée par Lucrece, quoy que cet amant crust bien avoir racommodé son affaire par le dédommagement qu’il avoit fait, et par la main-levée qu’il avoit apportée. Il n’y avoit plus qu’à trouver une occasion de rompre avec luy pour traitter avec Bedout. Sa sottise en fit naistre une bien-tost apres, qui, bien que legere, ne laissa pas d’estre prise aux cheveux.

Il vint un jour chez sa maîtresse fort eschauffé et fort gay, et, luy faisant voir quantité d’or dans ses poches, il luy dist qu’il estoit le plus heureux garçon du monde, et qu’il venoit de gagner six cens pistolles à trois